Monique Wittig, la déflagration
- Présentation Guériller la langue
- Papier critique Une entrée dans l’arène
- Papier critique Dans la cohorte ailée des mots
- Bibliographie Bibliographie
- Entretien « Faire revenir Wittig sur la scène littéraire »
- Entretien Tracer des voies
- Autre papier Souvenirs anticipés d’une biographe
- Autre papier Savoir vivre avec son accent
- Autre papier Partenariats
Les deux personnes reprennent leur route l’une tenant ses mains
contre les yeux de l’autre l’autre ne sachant pas où elle va.
Monique Wittig
« C’est si beau », disait-elle, en ouvrant d’un air pur et inspiré
ses yeux où elle allumait une « étincelle de divinité ».
Nathalie Sarraute
C’est au milieu de la France, légèrement décentré à l’est, dans le carré de pelouse devant la maison mitoyenne d’un grand lotissement. Quatre propriétés modestes s’alignent, c’est l’avant-dernière. La façade dessine une surface mobile d’ombre dans le soleil de l’après-midi. Deux fillettes jouent à préparer leurs poupées mannequins pour une grande soirée imaginaire.
Penchées sur une multitude d’accessoires miniaturisés, des souliers à la courbe vertigineuse aux diamants d’oreilles. Elles sont assises là à peigner méticuleusement les si longs cheveux blonds à l’aide d’une brosse surdimensionnée. Les petites mains s’agilisent dans un mouvement répétitif qui va de la racine jusqu’aux pointes. La parole est basse, presque chuchotée, seuls quelques éclats de rire furtifs viennent rythmer la langueur du moment. Les enfants créent leur petit monde sans penser au temps qui passe. Elles savent que la soirée n’aura pas lieu et que l’essentiel du jeu consiste en ces préparatifs. Le choix des tenues d’abord mais surtout la coiffure. Et encore, ce n’est même pas le résultat qui compte. Les différents essais occupent les doigts et les esprits bien davantage.
C’est à ce moment-là qu’elle arrive généralement. Une adulte, les cheveux bien courts. Elle ne fait pas de bruit, elle vient à pied ou à vélo, toujours seule. Personne ne sait si c’est une parente, la sœur de la mère d’une des deux enfants, peut-être sa demi-sœur, une amie, ou une bonne amie. Ce qu’elle vient faire aussi souvent, pratiquement tous les jours, reste encore une énigme. Pas de salut ou d’embrassades affectueuses. L’extrême concentration des petites les empêche de bouger de leur place. La fréquence de la présence de la visiteuse la rend familière au paysage de l’habitation. Et comme chaque fois qu’elle l’aperçoit passer le portail, l’enfant du foyer prononce cette phrase, simplement, sans exclamation quelconque, ni de joie ni d’agacement, comme un constat habituel, invariable et placide : Tiens, v’là la Monique.
Stéphanie Garzanti*
> Ce texte découle d’une réflexion amorcée dans le cadre de l’atelier d’écriture How to SupPRESS University Writing.
* Dernier livre paru : Petite nature (Cambourakis, 2023)