C’est une froide journée de l’automne 2004, à Lorrez-le-Bocage, en Seine-et-Marne. Nous sommes accueillis par Laurent Meckert dans la maison qui fut celle de son père, cet ouvrier devenu écrivain, décédé en 1995 et dont nous prévoyons de republier l’œuvre parue dans la « Blanche » chez Gallimard, devenue introuvable. Jean Meckert est alors plus connu pour les Série noire qu’il a signées du nom d’Amila.
Laurent nous a ouvert l’armoire vert olive qui contient les papiers de son père, nous y trouvons des tapuscrits, des lettres, des cahiers de notes, toutes sortes de papiers parfois totalement étrangers à l’œuvre de l’auteur. Bien trop de documents à lire et découvrir pour que les quelques heures que nous avons prévu de passer sur place y suffisent. Avec beaucoup de gentillesse et en confiance, notre hôte nous autorise à repartir avec de pleins sacs que nous pourrons éplucher chez nous à loisir (et que nous lui rendrons ensuite). Parmi ces papiers, un tapuscrit en papier pelure de 90 pages, qui constitue un roman complet, et qui ne correspond à rien de ce que nous connaissons de l’auteur. C’est la pêche miraculeuse, la découverte que n’ose espérer celui qui travaille à faire reconnaître un écrivain.
Aussitôt trouvé, aussitôt lu, cet inédit nous frappe et nous conquiert immédiatement ; sa puissance va chambouler le programme des rééditions prévues chez Joëlle Losfeld. Intitulé La Marche au canon, il ouvre le feu, en même temps qu’est republié Je suis un monstre (1952). Ce texte court et splendide est issu de notes que Meckert, mobilisé, a consignées sans doute en 1940, c’est le récit d’un soldat parti pour faire la guerre et bientôt contraint de fuir devant l’ennemi. C’est l’odyssée d’Augustin Marcadet – alter ego de l’auteur – dans cette « drôle de guerre » qui tourne au fiasco complet.
Dès les premières pages, Meckert évoque de manière bouleversante le drame de tous les départs au combat, celui de toutes ces jeunesses brisées par des conflits et des enjeux qui les dépassent. « On votait pour la paix, on payait pour la guerre. Partout les innocents, enfournés par wagons, roulaient dans les nuits calmes. Et ceux qui pleuraient le faisaient en silence. » C’est le désespoir qui guette, le drame des personnages confrontés à un conflit dont le sens leur échappe, c’est l’horreur de la guerre écrite avec sobriété et mélancolie.
Est présent déjà un antimilitarisme qui ne se démentira jamais ; on le retrouve au fil de son œuvre, qu’elle soit « blanche » (La Lucarne, que Joëlle Losfeld vient de republier) ou « noire » (La Lune d’Omaha, Le Boucher des Hurlus). Et il y a cette force d’évocation, cette authenticité, ce style, cette langue qui enthousiasmeront Raymond Queneau quand Meckert lui enverra son premier roman, Les Coups, publié par Gallimard en 1941 et salué par la critique. Et qui séduiront quelques années plus tard Marcel Duhamel, fondateur de la Série noire : dans la célèbre collection de polars, Meckert se changera en...
Dossier
Jean Meckert
« La Marche au canon » : découverte d’un inédit
juillet 2024 | Le Matricule des Anges n°255
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