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À la pointe La khâgne, ça vous gagne

juillet 2024 | Le Matricule des Anges n°255 | par Gilles Magniont

Et tout à coup, sur le plateau de CNews, la chroniqueuse félicite Philippe Le Guillou pour la « langue pure » de son roman. Dont Libération, quelques jours plus tard, dit aussi la qualité : « Brest, de brume et de feu ne serait que l’aimable portrait d’une ville disparue et retrouvée si l’auteur en personne ne s’installait avec hardiesse pile à la moitié de son récit ». Stupeur, le miracle des mots fait se rejoindre chaîne des droites et journal des gauches.
Comprenons, reprenons. Tout commence début XXe. Dans une « lande plantée de bruyère et d’ajoncs », voici Gabriel (le grand-père de Philippe), « enfant taiseux » mais aussi « enfant de la rivière », et encore « enfant de la faute » ployant sous une « chape de douleur et de secret » ; voilà son Petit Larousse illustré dont il se saisit « avec d’infinies précautions », lui qui devient « déchiffreur insatiable des mots et des noms », lui à qui sa grand-mère voue une « tendre admiration ». Survient 14, son « épouvantable boucherie » et la « dignité silencieuse » des familles ; mais il y a « le refuge de l’imaginaire » et « le vent salubre du large ». Un matin, Gabriel qui a la « sainte horreur des effusions » part en catimini vers Brest : nous découvrons avec lui cet « univers pittoresque et chaleureux », sa « beauté mystérieuse », ses « gens savoureux », « le sourire lumineux et permanent des êtres bons » et quelques figures impérissables tel ce curé « homme jovial à la tête ronde de bon Breton » ou cet évêque « Bossuet quimpérois aux yeux d’azur ».
Nul besoin de prolonger ce résumé pour comprendre pourquoi le livre est placé sous l’égide du mentir-vrai. Si la dialectique d’Aragon peut sembler rebattue, Le Guillou la renverse hardiment : car ici il ne s’agit pas de dévoiler la vérité grâce aux mensonges du récit, mais, bien au contraire, de faire que tout, absolument tout, indépendamment de son degré de véracité, paraisse absolument faux, dans un blockbuster adjectival à la Guy des Cars où les « cénotaphes imposants » le disputent à la « gravité songeuse », quand les « drinks vespéraux » succèdent aux « breuvages tourbés et virils ». Et qu’on ne dise pas que ce glacis ne s’applique qu’aux chromos de la France éternelle : « la littérature et sa transmission ne me suffisent pas, j’aime sentir le pouls de l’époque » annonce Le Guillou, qui sait rendre compte de la marche de l’Histoire – ici Mitterrand, « monarque impénétrable », son « goût du secret » et sa « rouerie florentine », là le « trop impétueux » Chirac – comme il sait rendre compte des appels de la chair – ici la « beauté ténébreuse d’un mauvais garçon », là le « souvenir des matelots bien membrés de Genet ».
Ça n’a l’air de rien, ce genre de choses, mais c’est une entreprise titanesque. Un moment d’absence, un prédicat mal placé, et tout s’écroule, tout déconne, Chirac florentin, évêque au gourdin. L’auteur est sans doute conscient de la fragilité des représentations comme de l’inattention du lecteur : dès l’entame, il lui signale que la campagne bretonne est « un espace presque sauvage, marqué par le mystère » (p.17), mais aussi qu’elle constitue « un arrière-plan de sauvagerie et de mystère » (p.18). Ainsi, le square « où les hommes blessés échangeaient des œillades mornes » (p.230) devient le square « où se rassemblent les hommes avides et blessés » (p.231). « Ce qui s’étale à nos yeux, c’est le Brest de Genet et de Mac Orlan » (p.374) ; oui mais c’est encore « le Brest qui nous fascine et nous liera toujours, le royaume intérieur de Mac Orlan et de Genet » (p.376). La conclusion n’est pas de trop, qui, reliant avec art ces presque quatre cents pages, privilégie le Brest « de mes grands-parents, de Mac Orlan, de Prévert et des matelots de Genet ».
On rêve aux dictées qui pourraient être découpées dans cette prose, et qui constitueraient autant d’antidotes à ces « poisons de l’intellectualité » que Le Guillou distingue à intervalles réguliers : « frange prétendument moderne de l’université », « microcosme des mandarins aigres et jaloux », « linguiste désincarnée et aride » ou encore « agrégatif besogneux et sentant la sueur ». Ce qui peut rappeler que notre amoureux de la liberté grande fut par ailleurs président du jury d’agrégation, inspecteur pédagogique général, inspecteur général, candidat à l’Académie française. « Je suis loin, très loin des cercles du pouvoir » : ne s’en étonneront que ceux qui méconnaissent la très grande puissance de la littérature, cette pureté où se dissolvent les scories du réel.

Gilles Magniont

La khâgne, ça vous gagne Par Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°255 , juillet 2024.
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