Un jour, un père demande à son fils de l’accompagner sur l’île de ses ancêtres, pour ce qui sera le dernier séjour de sa vie. Tel est le point de départ de ce très beau récit (d’ailleurs considéré comme son chef-d’œuvre) de Giani Stuparich (1891-1961), qui fut, avec Italo Svevo et Umberto Saba, un des membres de la communauté juive de Trieste. Un récit, ou plus exactement ce que l’italien nomme racconto lungo, une prose narrative située à mi-chemin entre la nouvelle et le roman.
Voici donc le père et le fils réunis pour la dernière fois. Le père souffre d’un cancer à l’œsophage ; il sent sa fin qui approche (chaque bouchée de bouillie avalée, au prix d’efforts qu’il s’acharne à dissimuler, retarde pour quelques heures cette rencontre prématurée). Lorsqu’ils sont installés sur l’île (Lussimpiccolo, au large de l’Istrie), le récit progresse au gré de réminiscences, souvent très poétiques, et de retours à un présent qui se fait plus lourd d’heure en heure. Entre deux quintes de toux, le vieil homme pêche, et lit la Bible. Un soir, après une prise héroïque (un bar de plus de quatre livres), un grain de raisin rubiola se bloque dans sa gorge…
Il leur faut alors envisager un retour sur le continent, et se faire à l’idée d’une mort désormais imminente.
Publié en 1942, ce récit poignant ne donne jamais dans la sensiblerie : Stuparich y préfère les silences aux paroles déchirantes. Et pourtant, malgré une étonnante économie de moyens, malgré une pudeur qui affleure presque sous chaque mot, tout est dit sur le drame humain, et sur l’impossible rencontre entre la vie et la mort.
L’Île de Giani Stuparich - Traduit de l’italien par Gilbert Bosetti, Verdier poche, 96 pages, 4,80 €
Histoire littéraire La fin d’une vie
mars 2007 | Le Matricule des Anges n°81
| par
Didier Garcia
Un auteur
La fin d’une vie
Par
Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°81
, mars 2007.