Bailegangaire est un univers de femmes : Momo la grand-mère qui perd la tête et ses deux petites filles, Marie qu’elle traite en étrangère malgré sa serviabilité et Dolly la favorite qui pourtant vient rarement la voir. Les hommes, morts ou absents, sont au cœur du récit, le besoin d’amour de ces femmes n’ayant jamais trouvé véritable ment à s’assouvir.
Un soir, Marie va vouloir « revivre…l’histoire…en venir à bout, avancer quelque part où il serait possible en quelque sorte de recommencer ». L’histoire en question, c’est celle que raconte tous les soirs Momo, sans jamais la finir : « Comment le patelin dénommé Bochtan…et ses glorieux habitants…attrapa son appellation nouvelle de Bailegangaire… là d’où le rire s’en est allé. » Ce récit que Momo raconte toujours à la troisième personne du singulier est en fait celui de sa propre famille, et Marie, en poussant Momo à bout, va permettre d’exorciser les démons du passé où il a fallu payer un lourd tribut à la mort. Cette histoire irréelle où le drame est arrivé à cause d’une « sanglante joute de rire », rythme toute la pièce de manière lancinante, parallèle.
Le style prêté à Momo est truculent, avec de drôles d’expressions, des onomatopées, des mots inventés et d’autres presque sophistiqués. Le langage des deux petites filles est beaucoup plus quotidien. Cette superposition des deux univers crée l’étrangeté de la situation. Chacun des personnages finira par mettre à nu ses propres fêlures.
La lecture devient alors une invitation : celle où l’âme humaine règle ses comptes avec sa conscience.
Bailegangaire, la ville
d’où le rire a disparu
Thomas Murphy
Traduit de l’anglais
par Isabelle Famchon
Éditions théâtrales
84 pages, 90 FF
Théâtre Mourir de rire et rire aux larmes
avril 1993 | Le Matricule des Anges n°4
Un livre
Mourir de rire et rire aux larmes
Le Matricule des Anges n°4
, avril 1993.