On ne retrouve pas dans Trente ans et des poussières, le McInerney du Journal d’un oiseau de nuit. Pas entièrement du moins. Le temps a fait son œuvre, le jeune homme tendu s’est métamorphosé en trentenaire presque installé. Les années « No future »70 ont cédé le pas aux « Dow Jones » 80. De soirées chics en coups de bourse, nos néos-cultureux rescapés du temps glorieux de l’Art pour l’Art fricotent maintenant avec le dollar. Culpabilité sous-jacente et questions existentielles sont les stigmates du passé, des vingt ans et de l’absolu comme seul destin possible.
Russel n’est pas vraiment riche, middle class aisée plutôt, heureux et sage avec sa femme Corrine qui (malgré elle ??!!) sévit dans le courtage financier. Dans le collimateur de son patron (Russell travaille dans l’édition), il décide, vertige de l’âge et de l’époque (86), de racheter l’entreprise. Suffit d’avoir les relations nécessaires, le culot et l’âme teintée de goldenboyisme. Sociologie de bazar pour génération en mal d’idéal ? McInerney est-il dupe ? « Tu crois que la vérité et la beauté se rencontrent exclusivement dans les bidonvilles et les steppes glacées par la bise, les souks et les tranchées ? » sonne comme une tentative de justification. Effet de mode ou alors influence pernicieuse du cinéma à l’américaine ? Les scènes se succèdent comme les plans d’un scénario à succès. Le style est là, bien sûr, McInerney joue avec les phrases et fait particulièrement mouche dans l’humour. La courbe suit l’effet de désenchantement, presque une morale de bon aloi. Symbole inconscient ? Jeff l’écrivain meurt. Les années 80 ont mis en branle d’autres prototypes et d’autres idéaux. La création devient une branche déficitaire de l’industrie.
Il ne faut pas chercher dans ce livre le vitriol, la dérision et l’extrême tension qui font une œuvre brûlante, mais cinq cents pages de plaisir manifeste pour une intrigue superbement conduite et des personnages bien campés.
D’écrivain, McInerney s’est transformé en romancier. En excellent romancier.
Trente ans et des poussières
jay McInerney
Traduit de l’américain par
Jacqueline Huet et J.-P. Carasso
Editions de l’olivier
554 pages, 140 FF
Domaine étranger La plume et le dollar
octobre 1993 | Le Matricule des Anges n°5
| par
Alex Besnainou
Un livre
La plume et le dollar
Par
Alex Besnainou
Le Matricule des Anges n°5
, octobre 1993.