Une question secrète et lancinante accompagne la lecture du dernier roman de Jean Colombier : celle de savoir où sont passés la tension, l’émotion, l’écriture fine et légère, le regard chaleureux et attentif de l’auteur sur ses héros qui faisaient le charme et la qualité des Frères Romance ? La réponse survient, cruelle et abrupte : tous ces points forts ne se retrouvent que dans le dernier quart seulement de Villa Mathilde. La plus grande partie du roman se présente en effet comme un de ces bons téléfilms que le service public nous dispense certains soirs de semaine. Les ingrédients de base qui font les recettes télévisuelles réussies sont là : description soignée d’un milieu social- ici la petite bourgeoisie française de province- personnages nuancés, mais pas torturés, à la psychologie transparente et en proie aux tourments existentiels courants, faits de société contemporains : chômage et ses dilemmes, usure du couple, famille recomposée et solitude. Quelques rebondissements mesurés maintiennent l’attention du lecteur qui pourrait bien zapper sur un ouvrage plus nourrissant ou plus croustillant. Le tout nappé d’un style bon adjectif-bon verbe qui épouse l’allure bon chic-bon genre des personnages. On attend donc patiemment au fil des chapitres la rencontre de Mathilde et François… Mais voilà, Jean Colombier se décide enfin à manifester son talent et en faisant brutalement basculer son héros de l’autre côté de l’écran, il nous entraîne avec lui sur les rives de la folie ordinaire, celle-là même qui un jour ou l’autre pourrait bien nous tomber dessus. Le style de l’auteur s’en trouve tout chamboulé, ragaillardi par tant d’impertinence. Caméra à l’épaule, l’artiste ose enfin regarder de près ses personnages se débattre et, ôtant leurs masques, zoomer sur leurs regards enfin éclairés. Le suspense pointe même le bout de son nez : Mathilde sauvera-t-elle François ? Il est dommage que cette question ne se soit pas posée dès le début…
Villa Mathilde
Jean Colombier
Calmann-Lévy
299 pages, 98 FF
Domaine français Sans fleurs ni couronnes
février 1994 | Le Matricule des Anges n°7
| par
Christine Koziura
Un livre
Sans fleurs ni couronnes
Par
Christine Koziura
Le Matricule des Anges n°7
, février 1994.