Facteur du petit village de Tirna en Irlande, Everest, une jeune femme sauvage, vit un drame discret. Arpentant les collines au fil de tournées harassantes qu’un présent de narration allonge encore, elle alimente en lettres et prospectus les isolés « Chacun la retient sur le seuil comme s’ils s’étaient tous concertés pour la retarder ». C’est ainsi que son métier lui impose de « rôder autour des vies », de rencontrer Milo dans l’attente de son frère et le couple étrange de Molly la folle et Ivoire l’homme d’affaires. Le soir, Everest échoue au havre de Henry O’Henry, le patron du débit de Guinness où des vieillards accrochés au zinc font figure d’emblèmes pour une Irlande de carte postale. Mais toute cette vie ne révèle au fond qu’une terrible absence, celle des parents défunts : le Savant, érudit tout à son histoire celte et Dido, la mère douce et généreuse. Digne représentante d’un peuple nostalgique, Everest sombre dans la mélancolie jusqu’au coma accidentel. Dermot, l’ami prédestiné, l’arrachera alors du « pays des ombres » avec la complicité malicieuse du vieux Norac, sorte de farfadet protecteur.
Avec une langue directe, Catherine de Saint Phalle résout les tourments d’une âme en jachère dans une romance pleine du charme des landes désertes et des feux de tourbe. Volontiers elliptique, N’écartez pas la brume taille les personnages au rasoir et leur prête des dialogues « décalés » qui les placent derrière un voile. Sans faire véritablement sens, les détails impressionnistes se multiplient et laissent le lecteur sur sa faim. La mention insistante de la thèse universitaire qu’Everest consacre aux « Incidences d’Avalon dans la vie de tous les jour » en est un exemple. Susceptible de donner une coloration mythologique au récit et une dimension intellectuelle au personnage, elle se révèle plaquée à peu de frais, sans objet.
Parfois inspiré, ce roman ne manque ni d’images charnues ni d’inventions adroites. L’absence d’un véritable travail éditorial qui aurait dû lisser ses maladresses n’en fait que plus cruellement défaut.
N’écartez pas la brume
Catherine de Saint Phalle
Actes Sud
180 pages, 98 FF
Premiers romans Les brumes d’Everest
octobre 1994 | Le Matricule des Anges n°9
| par
Éric Dussert
Un livre
Les brumes d’Everest
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°9
, octobre 1994.