La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Premiers romans Les verres grossissants de François Rosset

février 1996 | Le Matricule des Anges n°15 | par Erwan Le Bihan

Auteur d’un premier roman réussi sur le monde de l’entreprise, François Rosset expose d’infimes mécaniques qui resteraient bien dans l’ombre.

Paru à l’automne, Un Subalterne est un roman qui surprend moins par son sujet que par le traitement qu’il lui inflige. Un employé, Morlin, se débat dans l’engrenage d’une grande entreprise, prisonnier des rouages et de la paranoïa croissante qui en résulte. Broyé par ce double mouvement, il s’efface lentement épuisant ses dernières velléités avant de s’évaporer, entité flottante et inconsistante errant dans les couloirs et rebaptisée Sarpy. Si c’est une vague qui engloutit Morlin, ce sont les gouttes d’eau dont elle est composée qui intéressent François Rosset. Comme un virologue, il observe les petits riens de la vie quotidienne qui, sous son microscope, se révèlent bien capables de métamorphoser et de terrasser la grosse bête. Son écriture pousse au paroxysme des situations a priori anodines jusqu’à les faire accoucher de leur absurdité ou monstruosité latentes. Si le monde du travail est la cible de son arsenal rhétorique, c’est peut-être parce qu’elle n’est qu’un concentré de maux à l’état embryonnaire partout ailleurs.
François Rosset a 29 ans. Il est statisticien dans une entreprise de services. Nous l’avons rencontré non loin de son lieu de travail, dans une brasserie bruyante près de la place de la Nation à Paris. Il nous confie que les heures consacrées à l’écriture empiètent largement sur son sommeil : « Je surplombe ma journée comme un hibou ».

Un Subalterne est votre premier roman publié. Aviez-vous écrit quelque chose avant ?
Oui, il y a autre chose : deux romans, des nouvelles. Je me suis aussi essayé à la poésie en prose mais ce n’est pas ma façon de sentir. En fait, j’ai lu Beckett il y a trois ans et ça a été pour moi une petite révolution. Avant, ce que j’écrivais était très introspectif. Beckett m’a permis de comprendre comment échapper au psychologisme.
Beckett ? A la lecture d’Un Subalterne, on sent aussi poindre Kafka…
Oui, bien sûr. Kafka est aussi très important. Ces deux auteurs m’ont beaucoup apporté, chacun à leur manière. Avec Beckett, j’ai compris que, bien souvent, les postures corporelles expliquent davantage que des analyses psychologiques, même fournies. Kafka, lui, c’est le rapport au collectif. Ce qu’il y a d’exceptionnel, ce sont les rapports de force entre les personnages et la façon unique de les pousser à l’extrême. On peut faire du monumental avec trois fois rien. Il suffit de regarder les dysfonctionnements et d’aller jusqu’aux limites pour les rendre bien visibles.
Vous pensez que l’on ne peut rien faire de bon avec la psychologie ?
Non, non. Il y a quand même un grand truc, c’est Proust. Il maîtrise ça à la perfection. Mais moi je n’y arrive pas. Dès que j’essaye, je perds tout humour et toute vitesse. Alors je pose les problèmes autrement. Il y a un passage dans le roman où je décris une soirée mondaine uniquement à l’aide des postures physiques. Les postures rendent bien mieux les affects des personnages. Toute pensée a son équivalent dans une posture corporelle. Et, au fur et à mesure du livre, Morlin, le personnage central, adoptera toutes celles qui sont dans ses possibilités pour s’apercevoir enfin de son extrême confinement. Dans un cas semblable, il n’y a pas d’évasion possible, ni dans l’amour, ni dans la fuite. Même à la campagne, Morlin trimbale ses réflexes de vie. Il se débat dans un cercle très étroit qu’il véhicule toujours avec lui.
C’est cela, le sentiment de raréfaction que finit par éprouver l’un de vos personnages ?
Un peu, oui. On assiste à un gigantesque repli sur soi de notre société. Le personnage de Morlin, par exemple, est un paranoïque inquiet. Il vit l’isolement. C’est une entité qui diminue et qui devient étale.
Certains passages du roman sont écrits à la première personne,d’autres à la troisième. Le jonglage du Je au Il, c’est une question de distance ?
En quelque sorte. Chacune de ces tournures a sa fontion. Le Je permet le décalage, le délire propre de l’individu tandis que le Il, c’est la froideur analytique, la mise à plat, la science du médecin légiste, les questions douloureuses et les rapports de force. Comme dans Le Double de Dostoïevski, le passage du Je au Il peut déclencher une véritable folie verticale. Les univers respectifs du Je et du Il sont tellement éloignés que l’on passe son temps à se demander comment ils vont pouvoir interagir l’un sur l’autre. Cela fait entrevoir des abîmes. L’intermédiaire entre ces deux modes, c’est le dialogue : à la fois normé (question/réponse) mais qui autorise aussi le décalage. À l’avenir, j’essaierai de donner davantage d’espace au dialogue qui ouvre sur des champs infinis.
Il y a une nécessité d’écrire pour vous ?
Oui, mais pas dans la conception mystique et religieuse de Kafka. Pour moi, c’est le seul moyen d’accéder à une sensation de réalité, pour avoir prise sur elle. Tout est biaisé mais la littérature nettement moins que le reste, avec du travail et de l’acharnement. En fait, il s’agit de résister au clientélisme ambiant, au sens d’une uniformisation effrayante : la généralisation de la relation client/fournisseur dans tous les rapports humains. Il s’agit d’échapper au calcul utilitaire, un mode de fonctionnement largement répandu. Les sociétés de service que je connais bien deviennent le modèle de société tout court.
La littérature a un rôle social ?
La littérature est un instrument puissant. Il y a un tas de moyens pour penser le social, l’Eros au sens large. Il faut vraiment montrer comment tout cela tient et s’organise. Comment, par exemple, les entreprises aujourd’hui fonctionnent sur un véritable schéma familial avec les limites de la vie professionnelle qui sont de plus en plus floues. La reconnaissance qui est la base du management actuel est entièrement calquée sur le mode de fonctionnement de la famille traditionnelle. Mais tout ça, c’est l’objet d’un travail en préparation…
L’évasion éventuelle du héros Morlin, cela pourrait être l’écriture ?
C’est en tout cas faire quelque chose de diamétralement opposé à ce qu’il vit et que l’on voit se développer. C’est jouissif de démonter l’escroquerie actuelle. Le dédoublement permanent entre le dire et le faire, par exemple. Vous avez remarqué que sur les camions de la Poste, qui sont déjà tout à fait reconnaissables, il a fallu qu’ils ajoutent une inscription du type « Dans ce camion, la Poste transporte votre courrier ». C’est la même chose avec un supérieur hiérarchique dans une entreprise, comme Sefura, le patron de Morlin dans le roman. Il porte le modèle. Parce qu’il supervise, il est persuadé que c’est lui qui fait tout et que, sans lui, rien ne se ferait. Tout ça, il faut le traiter avec la littérature et non pas avec la sociologie, qui est souvent de commande, donc lié à un pouvoir.

Un Subalterne
François Rosset

Michalon
238 Pages, 90 FF

Les verres grossissants de François Rosset Par Erwan Le Bihan
Le Matricule des Anges n°15 , février 1996.