Une black. Une pute.Le fard distingué des filles de nos rues, de ces filles qui se femment -car cest à mûrir qu’elles jouent, et que le nom devient verbe puisqu’il devient acte-, brille aux yeux des messieurs qui passent, mirage et convoitise.
Elle fume une blonde coincée au bout bagué d’une tige nacrée. Se vieillir encore, afficher à quinze ans des stimuli lascifs.
Assise au volant d’une voiture neuve, dès que l’homme est parti, à l’éclat d’acier. Regard de squale. Tout au business. Femme d’affaire qui jauge ses opportunités.
Le rouge des lèvres s’incurve sans bavure. Bouche à baisers, malheureusement. Cheveux mi-longs, casque de poils drus qui protège la nuque.
Harmonie : aucun détail n’a échappé au sculpteur émérite de ce bibelot vicieux, pas même le chewing-gum mâché avec une moue vulgaire.
Existe-t-il une école pour cela ?
Dire qu’elle a les traits droits d’un marbre, qu’elle est désirable. Le pari tient à cela : qu’une enfant se vende - non par besoin, apparemment ?- et que la chair soit si faible qu’on ait envie d’acheter. Décadence du marketing.
Je passe ; j’avance en dévisageant la femme, puis l’enfant quand s’efface l’illusion. Elle en regarde d’autres à qui, du sourcil, elle dit un plaisir ineffable.
In petto : « Je lui offrirai bien une rose, pour l’étonner un peu », puis : « Elle doit être blasée des fleurs comme de leur langage. »
Je dépasse l’étal, souriant déjà du souvenir que j’en aurai : illusion de la plastique.
Me croise une femme qui compulse un carnet. Etre plus âgé, moins souriant, serti de l’uniforme, elle s’exclame à mi-voix ; j’en conclus qu’elle s’appitoie. Je me retourne, elle arraisonne le véhicule de la poupée grimée, réclame des papiers.
Un collègue l’accompagne, débonnaire caution virile.
D’un sac de skaï noir, l’enfant sort un portefeuille. Elle râle, l’air offusqué ; elle afflige de mépris les adultes qui l’assaillent.
Je bifurque, j’abandonne je crois, une misère à la nuit, une hétaïre impubère au mur crépi d’une folie.
Dans l’angle, un homme attend. Un blanc d’une trentaine. Le corps ferme, musculeux, une gueule de souteneur inquiet et son cheptel. Vraiment soucieux, le regard effilé et dur, aveugle sauf à la fille là-bas, en prise avec la loi.
Se sent-elle plus forte de le savoir là ? Crâneuse.
Lui : aurait-il un visage de l’amour qu’à ce jour j’ignore ?
Situation comique. Décalage : j’émerge au plus banal des séries policières, au cœur d’une soirée les plus austères de ma ville.
L’homme a le torse serré par un pull camionneur moutarde. Le ciel d’un noir métal, rutile. Couleurs des cités.
De surprise, je pars à pouffer seul dans l’obscurité. Le macro m’observe en biais puis, rassuré par je ne sais quel signe, reprend sa faction. Du coup, je ne ris plus. Je m’élance en courant et, à hauteur de l’homme, je lui décoche dans l’entrecuisse un pénalty rageur.
Je tire mes grègues de là tandis que le proxénète outrageusement endolori s’égosille et se tord.
Il ne tient qu’à nous d’améliorer l’ordinaire des promenades languides.
Que j’ai honte d’être aussi lâche !
Que firent les flics ? Que fit la demoiselle ?
Et pour peu que l’autre ne put plus l’honorer comme il sied à une dame ! Pourvu qu’elle s’en remette et qu’à nouveau un jour on lui offre des fleurs.
Théâtre Des écueils nocturnes où la ballade butte
Philippe Castells est né à Tours en 1966. En vue de subvenir à la subsistance de sa femme, de ses deux enfants et de lui-même, ce jeune homme n’a pas hésité à prendre un travail dans la grande distribution ; « c’est peut-être ce qui m’a donné la nécessité d’écrire ». Il a déjà publié des nouvelles notamment dans Le Marque Page, Rimbaud Revue, La Nef hallucinée ou L’Imbriaque. Il s’occupe du fanzine Micronos et est responsable des pages magazines de Contre-Vox. Ce qui lui laisse encore le temps de lire. Pour preuve ses dernières acquisitions : Perrudja de Hans Henny Jahnn (Corti) ou Haïe de Josée Laure (Babel).