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Théâtre Francis

février 1996 | Le Matricule des Anges n°15

Née en 1952, Janine Desmazières est enseignante et s’adonne à l’écriture depuis cinq ans. Elle a déjà été publiée dans des revues de poésies en Rhônes-Alpes et a reçu un premier prix en 1993 pour une lettre d’amour lors des 24 h du livre du Mans. Elle a plusieurs livres en chantier : des nouvelles et deux courts romans dont un polar. Se nourrit essentiellement de Flaubert et Rabelais. Derniers livres achetés : La Vie secrète de Sylvie Fabre (Unes) et l’If d’Hélène Clerc (Cheyne).

Comment ne pas comparer ? Francis Bacon triptyque de la crucifixion. Une bourse gonflée, prolongée d’un tube aux yeux qui pleurent et dont la bouche hurle. Plus loin, un chien sur une place, plutôt l’image double d’un chien, saignant, seul, sur la place. Dans le musée, c’est la presse, mais devant les tableaux de Bacon, il y a un espace libre, une distance, creusée par la trouille des visiteurs qui regardent rapidement et passent. Francis a stoppé. Le chien, il le reconnait, c’est celui de ses cauchemars, son chien, qui bave avant de s’écrouler.
Il s’est assis par terre, le marbre est froid, le silence l’entoure. Il a posé ses mains à plat sur ses cuisses, il a fixé une tache sur le mur, un pâté de peinture juste en dessous du cadre du tableau. Dans la bulle de ses souvenirs il entend une femme pleurer. Elle appelle à la porte de la maison, la nuit tombe, sa silhouette s’efface, aucune pièce ne s’éclaire. Elle appelle et il ne répond pas. Il s’est caché dans le coffre de la voiture, il ne veut pas répondre à cette voix qui pleure. Il attend que la nuit l’emporte. Il filera alors vers la maison voisine, chez Joseph, et lui demandera de raconter des histoires. Elle a beau dire, les fées et les géants, ça existe, ainsi que les petits Poucets qui vainquent les méchants ogres. Elle ne lui enlèvera pas ses rêves ; le père Noël, il s’en fout, mais les fées, leur sourire penché sur son berceau, pas touche. Dans le coffre de la voiture, il s’est endormi. Il s’est ensuite retrouvé dans un lit inconnu, en compagnie de sa mère qui ronflait. Cette nuit-là, le chien était venu, le chien de la place, bavant de rage. Il a dû visiter aussi les rêves de ce peintre, Francis Bacon, dont le tableau est devant lui.
La voix de l’instituteur : « Francis, on t’a cherché partout ! Qu’est-ce que tu fabriques ? Dépêche-toi, il faut partir ! »
Il se lève et quitte à reculons l’espace du tableau, rejoint le groupe, en rang deux par deux, et lui, le dernier, seul, comme d’habitude. On va -enfin !- quitter le musée, s’installer sous la halle aux grains, manger des sandwichs et boire du coca en se bourrant les côtes, gueuler, chanter, à qui le tour pour la Gamedoy ? Lui, à part. Personne ne le voit. Poing serré, dans sa poche, il retient l’image du chien.
Un autre rêve lui revient : une bête à dodo, un gros nounours brinquebalant, un cadeau noué à chaque poil, comme l’oncle d’Amérique. Celui qui était arrivé un soir d’hiver, le poète, dragueur de filles, tout droit sorti des tangos argentins. Il lui avait offert sa première voiture télécommandée. Jamais encore il n’avait pu appuyer sur un bouton et voir le miracle : au doigt et à l’œil elle obéissait ! Sa mère râlait ; tu connais le prix des piles ? Imbécile, tu crois qu’on a les moyens ? L’oncle, ravi, le regardait jouer, sans entendre.
Le nounours en passant a effleuré sa main, il reste une tache ocre, indélébile, poudre d’étoile ou poussière de lys. Puis il a suivi la trace d’une femelle. Comme l’oncle le soir-même, qui avait fauché, sans permis ni assurance, la voiture à la mère et avait couché avec la cousine, vérifiant par un coup de fil juste avant que le mari était toujours veilleur de nuit. Colère maternelle enregistrée d’une oreille, tandis que l’autre accompagnait, attentive, le petit ronronnement de la première Renault.
Et voici le deuxième qui défile : un mini-monstre, ras les pattes,ventre à terre, oreille pendante pour essuyer le parquet, langue au même niveau. Avec les yeux de son amie Julie. Sa sœur des cabanes et des arbres creux, petit sexe clos, où elle lui a permis une fois de poser les doigts, ses yeux noirs si doux, de la guimauve, à sucer très, très lentement pour que ça dure, le plaisir à deux. Sa Julie câline et garce parfois.

 T’es moche, Francis, tu m’énerves, barre-toi, j’attends mon amoureux.
Julie qui a piqué sa crise le jour de ses règles : elle croyait ne plus pouvoir grimper aux arbres. Julie à qui il dédie tous les soirs le début de son sommeil, voyage au pays des songes où les gentils morts nous attendent.
Julie maintenant qui sursaute à chaque bruit de voiture. Son enfance stoppée à cent à l’heure devant lui, elle a fait un si joli cercle dans le ciel avant de tomber, lourdement, un bruit mat, pas un cri. Elle n’a rien entendu, rien saisi, ses mains ouvertes, détendues, l’angle bizarre de sa tête avec son cou, un grand étonnement dans le regard. Il ne pourra plus toucher son petit sexe de prune, mais la nuit elle l’accompagne de ses yeux de guimauve un peu larmoyants ; son ventre palpite comme un adieu.
Enfin, sur la piste de son cirque personnalisé, débouche la dernière apparition. Celle-là était duraille : un cube de béton, monté sur roulement à billes, qui grinçait et grouillait sans cesse, un estomac affamé, des jambes de sorcière en fibre de verre, terminées par des serres poilues. Mais le plus terrifiant, c’était ce cube de béton, lisse, noir, menaçant. Une saloperie gimaçante à pattes de démon. Et le monstre approchait inexorablement. Réveille-toi bon dieu ! Pas moyen : le rêve était trop fort pour pouvoir en sortir.
Quand le cube fut au niveau de sa bouche il plongea comme une pierre le long de ses parois sombres aucune prise racine d’arbre angle de la roche où s’agripper il tomba indéfiniment et tout en bas
quand il a osé regarder
un lit de lait
son poids s’y enfonce
de grands jets en jaillissent et le recouvrent
goutte à goutte

Que c’était bon

Le pique-nique se termine sous la halle aux grains. On va prendre le car, retrouver la route nationale, le portail en fer forgé de l’école. Sa mère y sera, avec toujours exactement deux minutes d’avance, une horloge sans défaillance.Sa mère de lait et de béton.

Francis
Le Matricule des Anges n°15 , février 1996.
LMDA PDF n°15
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