Traducteur, entre autres, de Rilke, Hofmannsthal, Luzi et Yeats, Jean-Yves Masson n’avait publié jusqu’alors que dans quelques revues. Offrandes et Onzains de la nuit et du désir (prix Kowalski 1995) confirment une voix pour le moins singulière dans la poésie contemporaine française. Si on peut parler aujourd’hui d’un renouveau de la langue lyrique, apparu non pas comme une mode mais comme une nécessité, l’écriture de Jean-Yves Masson bénéficie quant à elle d’une rigueur formelle remarquable. Ce lyrisme dense, fervent prend source dans l’expérience encore « récente » d’un poète âgé de trente-trois ans. Elle se caractérise par un sens véritable de la musicalité, non pas par l’utilisation de la versification, mais par une capacité à cristalliser chaque vers dans son déploiement musical, assurant sans maniérisme leur nature méditative. Forgée par le souvenir des jardins d’enfance, du sentiment d’un monde où comme l’a écrit Roberto Juarroz « Le visible est l’ornement de l’invisible », la poésie de Jean-Yves Masson est nostalgique : « L’ange disait :« Sur la terrasse où le vent tourne, / viens maintenant, approche-toi de mon mystère, / je suis l’instant qui réunit tous les morts. / Tu devras lutter contre moi. Nulle grandeur/ n’est donnée à qui veut tenir parole, s’il ne lance/ un défi d’ombre au temps qui le tient sous sa loi. »/ Ange qui viens, je te connais comme la mer, / comme la gravité des temples et la jeunesse des colombes, / je me dresserai contre toi. Je serai fort. / Et peu m’importe ma défaite si je viens/ au jardin d’avenir, les bras chargés de fruits naissants. »
Composé de cent vingt et un poèmes, Onzains de la nuit et du désir retrace le parcours du poète jusqu’à un âge mûr dont seul l’avenir assurera la validité. Dans ces poèmes qui doivent leur beauté à leur justesse mais aussi à une indéniable fraîcheur de style, l’ami est plus convoqué que la bien-aimée. Cette affinité élective aide le poète à prendre confiance, à chercher conciliation avec un monde qui semble sans cesse l’exclure de ses richesses. La lumière de l’origine apparaît ou se voile selon l’instant, la mémoire du temps apaise ou terrifie le cœur.
Offrandes, divisé en cinq parties, comporte le même parcours avec différentes adresses : A son amour, Au poète (Mario Luzi), A la voix de l’ange, Au passeur Charon et A son âme. Cette poésie de l’intériorité s’exprime ici dans des chants plus vastes, dans des chorales où le poète est rappelé à son destin et à sa douleur : « Est-ce toi qui reviens dans les jardins de fièvre,/ voix d’une ancienne solitude, est-ce la mer/ dont l’appel sous les pins murmure dans le soir,/ là-bas, comme si d’immenses fontaines/ s’étaient ouvertes sous le ciel plein de nuages ? / Est-ce la voix de l’ange d’air qui me convoque/ et qui délire au cœur du monde, sous la pierre/ où couve le feu d’origine, le feu d’amour ? » Suite symphonique, Offrandes offre avec son quatrième chapitre Au passeur Charon, un véritable scherzo mahlérien au terme duquel le poète peut écrire : « Et peut-être/ faut-il que de tout mot qui vient, une part soit offrande/ à ce qui nous conduit mais toujours se dérobe/ dans le labyrinthe du temps. » C’est à ce voyage que convie Jean-Yves Masson qui par ces deux publications prend place parmi les poètes essentiels de notre temps.
Onzains de la nuit et du désir
Jean-Yves Masson
Cheyne éditeur
128 pages, 80 FF
Offrandes
Voix d’encre (8, chemin
de la Nitrière 26 200 Montélimar)
50 pages, 90 FF
Poésie Les offrandes de Masson
février 1996 | Le Matricule des Anges n°15
| par
Marc Blanchet
Connu pour ses traductions, Jean-Yves Masson propose là une poésie lyrique où la mission du poète est de révéler plus que jamais l’invisible.
Des livres
Les offrandes de Masson
Par
Marc Blanchet
Le Matricule des Anges n°15
, février 1996.