La quatrième de couverture ne rameute rien moins que Kafka, Gaddis, Joyce, Musil et Doderer -hyperbole éditoriale d’une démesure co(s)mique-, ce qui promettrait une sévère migraine aux futurs rédacteurs d’Actes Sud s’il ne se trouvait en outre précisé que « Les Fenêtres murées est l’unique roman -écrit en sa jeunesse roumaine- d’un homme qui, détourné de l’écriture par des évènements tragiques, s’est installé en France où il vit toujours »
Excepté quelques accès de psittacisme, le narrateur anonyme ne paraît dans un premier temps guère se distinguer de l’ordinaire condition humaine. Il se réveille chaque matin aux côtés d’une fidèle compagne : la Tristesse qu’il trompe hebdomadairement -le mardi- avec une certaine Kati et, au hasard de longues promenades, entretient un silencieux commerce aussi bien avec des passants inconnus qu’avec des façades décrépites ou des chiens errants.
Mais, à vrai dire, notre quidam déambule « dans une réalité particulière, comme dans les rêves, où les objets peuvent se transformer à tout moment selon le déroulement des aventures intérieures ». Dans cette dimension parallèle et clandestine tous les phénomènes perçus se diffractent au gré d’un prisme mental, pour se recomposer ensuite selon des rapprochements inattendus : « Le bois sculpté me déprime, il me donne une sensation d’étouffement que je ne m’explique pas ». Le récit progresse ainsi entre chien et loup, tandis que son lecteur se laisse porter par un flux onirique continu, captif d’un charme que la belle traduction d’Alain Paruit ne contribue donc pas à rompre.
A force de concevoir des choses étranges, des choses étranges finissent par survenir, comme disait (à peu près) Michel Simon dans Drôle de drame. On ne sait si les événements qui suivent relèvent du délire paranoïaque.
Car finalement, au centre de ce livre, demeure une question propice à bien des insomnies : « Qui pourrait démonter les milliers de leviers cachés grâce auxquels, de l’intérieur, le reflet des objets qui nous entourent nous manipule, modifie nos impressions et parfois nos décisions les plus importantes ? »
Les Fenêtres murées
Alexandre Vona
Traduit du roumain par Alain Paruit
Actes Sud
304 pages, 148 FF
Domaine étranger Bonjour tristesse
février 1996 | Le Matricule des Anges n°15
| par
Eric Naulleau
Un livre
Bonjour tristesse
Par
Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°15
, février 1996.