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Domaine étranger L’atelier imaginaire de Nikos Kachtitsis

février 1996 | Le Matricule des Anges n°15 | par Dimitris Alexakis

Paru à Salonique en 1964, Lhôtel Atlantic est le premier roman d’un prosateur qui ne demandait pas « l’éternité mais un peu de temps. ». Son oeuvre, interrompue par la mort en 1970, reste mal connue du public grec.

L' Hôtel Atlantic

Nikos Kachtitsis a écrit un jour, en employant une tournure difficilement traduisible, qu’il aimait « l’effacement des gens effacés », « l’anonymat des anonymes ». Cet écrivain grec né en 1926 et mort en 1970 est le créateur d’un univers qui fait penser à une étrange chambre d’enfants ou à un atelier dans lequel s’empilent de vieux jouets, des décors de théâtre, d’immenses masques africains, des cartes postales datant d’une guerre lointaine, un atelier qui a longtemps été réservé à ses amis, et à lui-même. « Mon plaisir, confiait-il dans une lettre, est de me rendre en secret dans un coin de ma bibliothèque, d’y ouvrir mon livre et de m’y regarder. Narcissisme ou pas, c’est ce que je suis. » La réédition des textes qu’il fit paraître de son vivant a été achevée en 1988 par Stigmi, une petite maison athénienne.
Outre L’Hôtel Atlantic (1964) et Le Héros de Gand (1967), son œuvre comprend des nouvelles et une importante correspondance. Saluée à plusieurs reprises par la critique, elle n’a jamais retenu l’attention du grand public.
En publiant son premier roman, dont le titre original -Le Balcon, ou Le Poulailler- désigne la partie du théâtre où les places sont les moins chères, les éditions Hatier nous permettent de découvrir un auteur plus profondément et plus secrètement novateur que bon nombre des écrivains grecs traduits aujourd’hui en français.
Kachtitsis, comme l’écrit D. Daskalopoulos dans le quotidien To Vima, appartenait à une génération arrivée à maturité « au cours de la décennie néfaste de 1940-1950 », celle du conflit mondial, de l’occupation allemande et de la guerre civile qui opposa la gauche aux nationalistes grecs.
« Les représentants de cette génération avaient pour tâche, selon le journaliste, de traduire dans leur poésie et leur prose les expériences douloureuses » de l’histoire collective : l’expérience de l’exil, éclairée par le Journal de Georges Séféris et le grand roman de Stratis Tsirkas, Cités à la dérive ; l’expérience de la clandestinité et de la déportation, qui est au cœur des trois recueils de Yannis Ritsos, Pierres, Répétitions, Barreaux, publiés en un volume chez Gallimard. Kachtitsis, qui se prononça contre la dictature militaire de 1967-1974, n’a retenu de l’histoire que ce qui servait sa mythologie personnelle.
Le décor de ses romans -qui apparaît souvent dans L’Hôtel Atlantic comme le véritable sujet du livre- est aussi insolite, aussi dense que celui des toiles de Giorgo de Chirico. Son monde est un monde en déclin qui paraît à demi immergé dans le passé : résidences détrempées, terrains en friche, petites villes de province auxquelles l’écrivain a insufflé une étrangeté unique.
« Je soussigné S. P. (…) déclare sur l’honneur et en pleine connaissance de ce que prévoit la loi en cas de fausse déclaration, que je me trouve, sur le plan psychologique, proche de l’effondrement, sur le plan financier, au bord de la faillite, et que ma santé est très sérieusement ébranlée, ce que j’attribue moins au nombre de mes années qu’à l’angoisse que me causent souvenirs et remords, et aux rhumatismes. » Le narrateur de L’Hôtel Atlantic a quitté son pays natal après une guerre durant laquelle il s’est, dit-il, rendu coupable d’ « atrocités ».
Réfugié dans une colonie africaine aussi universelle, aussi peu pittoresque que la colonie pénitentiaire de Kafka, il décide, avant de mourir, de laisser une trace écrite de son existence.
Dans un cahier, il relate ses journées d’exil, au long desquelles il côtoya une société de propriétaires et de notables européens, puis les années passées de l’autre côté de la mer, dans la ville de Gand, cité du Nord que Kachtitsis a empruntée à la géographie de la Belgique pour en faire le cœur de son œuvre littéraire.
Le ton adopté par le narrateur dès la première page du livre est celui d’un criminel qui, après avoir perdu la partie, s’apprête à rendre compte de ses actes. Mais la faute dont il s’accuse n’existe peut-être que dans sa mémoire gorgée de solitude, de rumeurs fantomatiques, de souvenirs -souvenirs distordus, démesurément allongés, qui empiètent peu à peu sur son existence présente et finissent par l’en déloger.
Sa monstruosité supposée est à l’opposé de celle que recherchent les lecteurs de faits divers. Une vérité se dégage de L’Hôtel Atlantic : si l’auteur, en recourant à la forme de la déposition, suscite habilement une attente dans notre esprit, cette vérité n’est finalement pas liée à la divulgation de faits particuliers, mais à un climat.
L’Hôtel Atlantic est parcouru d’un bout à l’autre par une électricité singulière, par une fièvre sèche, un tremblement qui se communiquent durablement au lecteur. Kachtitsis parvient à concentrer notre attention sur la personne du narrateur sans étrangler ou appesantir le roman.
La traductrice française a su rendre le style propre de l’écrivain, qui allie une relative préciosité et une syntaxe rigoureuse à une force d’expression brute, une langue qui n’a pas encore entièrement mué, qui conserve un peu de son écorce et de sa maladresse natives.
Kachtitsis a passé la plus grande partie de sa vie au Canada, où il s’installa en 1956. Il s’est toujours refusé à effectuer une « carrière » littéraire et n’a diffusé que des ex-traits de ses tout premiers textes. L’Hôtel Atlantic, auquel il consacra dix années de travail, ne fut d’abord imprimé qu’à cinq cents exemplaires. « Nous ne savons pas quel sera le sort de (L’Hôtel Atlantic) écrivait-il lors de la parution du livre. Le Temps (…) nous l’apprendra, qui remue et égalise toutes choses (…) pour rapporter à la surface (…) parfois un bidon de fer blanc, parfois un débris de vase et parfois un vase intact. »
Un recueil de poèmes publié par ses soins en 1968 porte en exergue : « Je ne voulais pas l’éternité, mais un peu de temps. » Nikos Kachtitsis est mort d’un cancer du sang à l’âge de 44 ans.
Le vœu de Stratis Tsirkas, qui espérait que le lyrisme naturel de l’écrivain rejoindrait un jour la rigueur caractérisant son premier livre, ne restera pas forcément lettre morte. La majeure partie de son œuvre est en effet inédite : il s’agit de sa correspondance qui, selon I. Papadimitrakopoulos, auteur d’une présentation des écrits de Kachtitsis, fait certainement de lui « le plus grand épistolier de la littérature grecque. »
Pour des raisons juridiques, la publication de cette correspondance n’a pas encore été possible en Grèce.
Parue en 1958 dans une revue de Salonique, la lettre écrite au début des années 60 et dont nous traduisons l’extrait ci-joint (p.55) témoigne d’une écriture beaucoup plus imagée que celle de L’Hôtel Atlantic. « Tu es : un lièvre qui flaire le danger, dresse les oreilles et se met à courir désespérément, puis qui s’arrête pour tendre l’oreille et, à son grand soulagement, constate que le danger est passé et se dirige alors nonchalamment vers un buisson tout proche, se blottit pour se procurer une sensation de recueillement et de sécurité et, heureux, s’abandonne au sommeil. / Tu es : des fleurs sauvages reposant au printemps dans le calme absolu d’un vaste champ de bataille, mais qui se laissent bientôt entraîner par une brise imperceptible, comme une musique lointaine, tandis que l’air ambiant donne au passant l’impression que des événements mystérieux se déroulent autour de lui -tandis que lui, le passant, se sent gagné par un immense chagrin et un sentiment de culpabilité dû au simple fait qu’il est encore en vie. »

L’Hôtel Atlantic
Nikos Kachtitsis

Traduit du grec par
Effi Hadziforou
Hatier
123 pages, 98 FF

L’atelier imaginaire de Nikos Kachtitsis Par Dimitris Alexakis
Le Matricule des Anges n°15 , février 1996.
LMDA PDF n°15
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