Monologues épars, fragments d’insomnie, dialogues ordinaires, aphorismes, bouts d’histoires, « dix ans de tirroirs(…) comme des instantanés, des petits polaroïds ». Ecrites au féminin ou au masculin, au singulier ou au duel, ces Chroniques, des jours entiers, des nuits entières de Xavier Durringer esquissent au fond toujours la même histoire, l’éternelle quête des filles et des garçons. Des histoires de fesses et d’amour -manqué ou introuvable, forcément. Les petites déprimes, les embrouilles, la peur et la grande solitude qui habitaient déjà ses précédentes pièces (cf. MdA N°9).
Ici l’on se manque, on se cherche, on se sépare, on s’espère mais l’on est rarement ensemble et même quand il y a couple, c’est dans une totale incompréhension, souvent dans la suspicion. Ici pas de partage, on ne se rejoint jamais et l’addition de toutes ces solitudes n’aboutit jamais à la communauté.
Il y a Sylvie qui a « le type même d’une fille sans type ». Les combines foireuses d’Akim, « Y faut qu’on se fasse le paquet épais qui tient pas dans la poche(…). Avec de l’argent, on présente mieux tout de suite (…) et tout s’ouvre après, ton banquier change de cravate pour te recevoir, le monde s’ouvre, les yeux des filles s’ouvrent ». Et le désespoir d’une boulimique suicidaire « je pourrais m’allonger tranquille, étendre mes grosses jambes, me mettre sur le côté, je ferais comme une femme fatiguée, je ferais et je mangerais des tablettes et des tablettes de petites pastilles de toutes les couleurs, bleues, je fermerais les yeux et j’oublierais comment je m’appelle et comment j’étais tout en fermant les yeux et je mourirais, donc, je mourirais ».
S’il y a parfois des suites, des personnages qui se croisent, il n’y a pas ici d’ordre de montage. Chaque texte est à prendre séparément comme des morceaux d’improvisation, des exercices d’école. « C’est un matériau à jouer, des confrontations pour les acteurs, à se dire, à se balancer contre le mur, sans fleurs, ni fards (…). Chaque texte apporte sa propre fin. On pourrait les mélanger comme un jeu de cartes », prévient l’auteur en préambule.
Naïve et poétique, tendre et drôle, vulgaire aussi, la langue de Xavier Durringer est celle de la rue, du quotidien, comme saisie dans son expression la plus spontanée dans des lieux publics ou griffonnée dans un petit carnet de notes, sur le coin d’une table de café. Du langage brut, une « poésie de la rue » mais sans artifices, sans effets de mode. Un indéfectible accent Paris-banlieue, attrapé sans doute alors qu’il roulait sa bosse d’acteur, il y a près de quinze ans, dans les bistrots de quartiers, les boîtes de nuit et les salles des fêtes. On n’imagine d’ailleurs pas de meilleurs endroits pour l’y loger. Tant il semble bien que le théâtre de ce jeune écrivain et metteur en scène de 33 ans réside là, dans ce pathétique du banal, dans ces petites souffrances ordinaires et dérisoires, ces questions sans réponses qui n’en finissent pas de se répéter, de lanciner. Des petits riens en somme, qui touchent au moment où on s’y attend le moins. Et qui finalement sont beaucoup tant ils fourmillent d’humanité.
Maïa Bouteillet
Chroniques des jours entiers, des nuits entières
Xavier Durringer
Editions Théâtrales
75 pages, 84 FF
Théâtre fragments de la déprime ordinaire
septembre 1996 | Le Matricule des Anges n°17
| par
Maïa Bouteillet
Présentées en Avignon cet été, avec trois autres pièces, les Chroniques… de Xavier Durringer confirment la singularité d’un jeune auteur.
Un livre
fragments de la déprime ordinaire
Par
Maïa Bouteillet
Le Matricule des Anges n°17
, septembre 1996.