La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Théâtre Warrilow : un mystique au service du verbe

septembre 1996 | Le Matricule des Anges n°17 | par Maïa Bouteillet

Au-delà du nécessaire hommage à David Warrilow, acteur fétiche de Samuel Beckett, mort du sida l’an dernier, l’ouvrage collectif restaure la part fondemantale du comédien dans l’histoire du théâtre.

Warrilow, solos

J’ai souvent l’impression que Beckett parle de cendres ; comme si son expérience était les restes de quelque chose d’embrasé » expliquait David Warrilow, en décembre 1990, au théâtre de l’Odéon, au cours d’un passionnant débat avec de jeunes professionnels animé par le critique Georges Banu et publié pour la première fois dans cet ouvrage. Ces cendres, ces résidus ultimes, cette extrême limite du souffle c’est ce que retiendront ceux qui l’ont vu, ne serait-ce qu’une fois, jouer. C’est l’image que retiennent ici les auteurs de Solos, reprenant à leur compte (en y ajoutant le pluriel) le titre de la pièce que Beckett écrivit pour l’acteur en 1981, et qui ne pouvait mieux traduire le dépouillement de l’un et de l’autre. Car c’est bien vers cette épure ultime que tendait tout le travail de l’acteur. Travail que Warrilow n’envisageait pas en terme d’interprétation et encore moins d’incarnation mais bien de « service du texte », sans masque et sans fard. Si bien qu’à la fin, ne restait plus que la voix. « J’ai toujours favoriser la voix. Par exemple, quand j’ai proposé à Beckett d’écrire une pièce pour moi, il m’a demandé ce que j’avais précisément en tête. Dans ma tête, j’avais l’image d’un homme seul sur scène, éclairé de façon à ce qu’on ne voie pas son visage. Je ne voulais pas que la personnalité de l’acteur intervienne dans la réception du texte. Je voulais que chaque spectateur soit en mesure de rêver, de laisser son imagination habiter l’univers créé par le texte ».
Ces dispositions minimalistes présideront à de nombreuses apparitions de l’acteur en scène, partiellement restituées ici par une cinquantaine de très belles photographies rassemblées sous le titre de Visages et intelligemment rythmées par des extraits des textes « servis ».
Pour Impromptu et Cette fois de Beckett, l’acteur explique « le texte est enregistré. Sur scène, tout est noir. La tête du comédien est à trois mètres au-dessus du plancher. Seul, son visage est éclairé, tête légèrement en arrière, et longs cheveux blancs. La voix sort de trois haut-parleurs placés de côté et au-dessus ».
Et l’on se souvient encore de lui, il y a deux ans, dans Au Cœur des ténèbres de Joseph Conrad. Assis sur le bord du plateau, vêtu d’un simple vêtement sombre, immobile presque figé, une présence magnétique, un regard hypnotique, tout entier tendu vers le verbe dans un souffle qui semblait venu du fond des ténèbres. « C’est probablement dans Au Cœur des ténèbres qu’il atteignit presque chaque soir le sommet de son art », écrit le metteur en scène Joël Jouanneau avec lequel Warrilow a cheminé neuf ans, le temps de neuf travaux, et qui l’accompagnera jusqu’au bout.
Mort du sida à l’âge de 60 ans, David Warrilow était arrivé très tard au théâtre. De père anglais et de mère irlandaise (et ce n’est pas le moindre de ses points communs avec Samuel Beckett), il était né en 1934, à Stone en Grande-Bretagne, dans une famille pauvre de fabricants et de marchands de chaussures. Très tôt, il pratique le chant et la danse et s’initie au français qu’il maîtrisera plus tard parfaitement. En 1955, il part faire sa troisième année universitaire à Grenoble. C’est là qu’il s’essaye pour la première fois au théâtre au sein de troupes estudiantines.
Mais c’est lors d’un deuxième séjour en France, dans les années 60, que le jeune David approche l’expérience théâtrale de plus près. Il est alors journaliste, traducteur et éditeur pour la revue d’art française Réalité (il y restera onze ans), à Paris, et fréquente régulièrement le Centre américain du boulevard Raspail -véritable scène alternative de l’art vivant. C’est l’époque des « happening », « work in progress » et autres expériences limites tentées notamment par Julian Beck et son fameux Living Theatre.
C’est là que Warrilow rencontre Lee Breuer avec lequel il commence à répéter En attendant Godot, sans penser encore à embrasser la carrière d’acteur. De Beckett toujours, il travaille Comédie puis Fin de partie et rencontre l’écrivain irlandais à cette occasion. En 1969, il démissionne de Réalité et suit Lee Breuer et les Mabou Mines aux États-Unis. Il a 36 ans. C’est seulement en 1975 que la troupe rencontre le succès avec Le Dépeupleur de Beckett et David Warrilow dans le rôle titre. Aux U.S.A et en France, au Festival d’Automne où il joue pour la première fois en français, il est reconnu comme le grand interprète de Beckett. Dès lors, il partage son temps entre l’Amérique et la France, où il travaillera avec Joël Jouanneau à partir de 1986.
De ce choix tardif pour le théâtre qui leur était commun à tous deux, le metteur en scène constate « probablement nous sommes venus au théâtre comme d’autres entrent dans les ordres : ils ne peuvent rien faire d’autre, et c’est finalement leur seul moyen de continuer d’être là, présents au monde, mais c’est aussi le choix d’aller au plus profond de l’aventure intime et de la quête de soi. C’est cette aventure-là, intérieure et qui repose sur la conscience de l’éphémère non seulement du théâtre mais principalement de la vie, à laquelle nous avions donné le nom de « travail » ». Dans un long et magnifique hommage à son interprète, -qui est, avec les entretiens inédits, le principal intérêt du livre-, Jouanneau évoque la transcendance vers laquelle tendait son désir de théâtre. « On peut dire de l’acteur Warrilow qu’il était un chaman, tant il avait une expérience mystique du verbe ; c’est le verbe qui l’incarnait, lui, Warrilow, c’est le verbe qui lui donnait un corps ». Et c’est avec une extrême émotion et une grande pudeur que Jouanneau écrit le dernier épisode de leur « voyage théâtral ». La tentative de suicide après l’annonce de la maladie, la détresse de l’homme se sachant « aux mains du négateur » et le « contrat » qu’ils passèrent cette nuit-là, à New York : « nous ferions du théâtre jusqu’à la fin, et s’il voulait de nouveau en finir un jour, alors je devrais l’aider ». Les dernières pièces, Au Cœur des ténèbres, La Dernière Bande et Compagnie de Beckett, l’expérience presque extatique qui s’ensuivait, les séjours à l’hôpital, l’avancée de la maladie et le refus de l’acteur d’annuler les représentations. « Il savait à la fin de son parcours que sa seule présence suffisait, car alors il était devenu un souffle, un haïku sur le plateau, un haïku oui, cela est si vrai que chaque soir, et c’est là que nous entrons dans la folie, nous retirions quelques lignes du texte, comme pour trouver l’épure de l’épure, celle qui aurait conduit à l’ultime page blanche… »

Maïa Bouteillet

Warrilow Solos

Actes Sud
Ouvrage collectif dirigé par
Claire David et Joël Jouanneau
107 pages, 90 FF

Warrilow : un mystique au service du verbe Par Maïa Bouteillet
Le Matricule des Anges n°17 , septembre 1996.
LMDA PDF n°17
4,00