Rien à faire est un roman que Juan Madrid a écrit en 1984. Moins ancré dans l’actualité espagnole que Feu de paille (1993), ce roman actualise l’une des figures mythiques de la littérature policière : le vieux truand qui n’a jamais eu de chance. Comme ces héros de Jean-Pierre Melville qui ont attendu en vain une heure qui n’est jamais venue, Silverio Roca, ex-chauffeur de braquages se laisse convaincre par Miguel Vidal dit le Chinois, une vague relation carcérale, de convoyer un « chargement » vers la France. Assez simple et plutôt lucrative -deux millions de pesetas-, l’affaire tourne bien sûr très mal. Le Chinois l’attend à l’arrivée, récupère sa marchandise et liquide Silverio. Il croit l’avoir liquidé. En réalité, puisant des forces dans la haine que cette trahison a éveillée en lui, Silverio a survécu : « Jamais il ne sut combien de temps il avait lutté seul contre le froid et la mort. Le sang imprégnait la terre, son corps était froid et raidi. Personne ne détecta son pouls, jusqu’à ce qu’il cligne des yeux. Beaucoup plus tard il retrouva des sensations, allongé sur un lit, la tête bandée et beaucoup de gens autour de lui ». Comme si le temps s’était arrêté le jour où on l’a trahi, Silverio, après avoir purgé une peine de prison à Carabanchel, entreprend avec un sang froid vaguement paranoïaque de se venger et de récupérer les deux millions de pesetas qu’on lui doit.
Dans le numéro 20-21 que la revue Hard-Boiled Dicks avait naguère consacré au roman noir espagnol, on peut lire que Rien à faire est un roman « atypique sur le thème de l’échec ». Ce serait plutôt un roman assez classique (par son thème et son style) sur le thème de la vengeance. Le roman noir espagnol qui est né en 1974 avec Tatouage de Manuel Vásquez-Montalbán n’a pas eu de période classique. Avec Rien à faire, Juan Madrid semble avoir écrit, sans manièrisme aucun, ce qu’aurait pu être un classique du polar espagnol. Ce faux roman classique est une sorte d’exception dans la manière de Juan Madrid qui d’habitude colle de très près à l’actualité. Mais Rien à faire n’est pas un livre d’esthète, c’est un très beau roman sur la déréliction. Au cœur de la déréliction, quand il n’y a rien à faire, il ne reste plus effectivement, comme dit Silverio Roca, qu’à « traîner à droite à gauche ».
Christophe David
Rien à faire
Juan Madrid
Traduit de l’espagnol par
Christophe Josse
L’Atalante
211 pages, 69 FF
Domaine étranger Le classique de Madrid
septembre 1996 | Le Matricule des Anges n°17
| par
Christophe David
Un livre
Le classique de Madrid
Par
Christophe David
Le Matricule des Anges n°17
, septembre 1996.