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Égarés, oubliés L’Homme au grand manteau marron et au chapelet persan

septembre 1996 | Le Matricule des Anges n°17 | par Yves Martin

Sportsman, homme du monde et journaliste, Claude Anet fut le témoin de la Révolution de 1917 et le premier automobiliste de Perse. Spécialiste de l’Amour en Russie, il a fondé avec Ariane le prototype de la jeune fille moderne.

Notes sur l’amour

Claude Anet naît à Morges, le 28 mai 1868, de son véritable nom Jean Schopfer, famille française, protestante, exilée en Suisse (Révocation de l’Édit de Nantes). Lui et son frère aîné Louis redeviendront français à leur demande, sans la moindre formalité. Un père passionné de Stendhal avant sa vogue, une mère d’origine anglaise aguerrie à Renan. « Une beauté romaine plutôt que grecque », ainsi Anet la décrit-elle dans une Biographie inédite (1926).
Pourquoi ce pseudonyme ? Réponse double : « l’euphonie », « référence aux Confessions de Jean-Jacques Rousseau ». Claude Anet n’est autre que le jardinier de Madame de Warrens ! Du côté des poètes, prédilection pour Virgile, André Chénier, plus tard Omar Khayyan. Il traduit les cent quarante-quatre quatrains avec son ami Mirza Muhammad Kasvini (la Sirène, 1920). Études : la Sorbonne, École du Louvre. Un an en Italie. Au bout : un premier livre, Voyage idéal en Italie (Perrin, 1899). Grâce au « Law-tennis » gagne quelque pécule.
Comment vivaient Anet et son frère ? Ils avaient un petit appartement quai Voltaire, ils y recevaient trois fois par semaine. Un des noyaux de la naissance de la Revue blanche. Anet y collabore à la rubrique « Gazette de l’art ». Pré-originale de sa nouvelle « Mlle Bourrat ». Amitiés de Bonnard, Vuillard, Maillol, Roussel. Côté plume, Jules Renard, Léon Blum, Félix Fénéon. Aime Rodin, Daumier. Fréquente les princes Bibesco, le prince Joachim Murat, les politiciens de son temps et l’abbé Breuil, grand paléontologue.
Petite ville son premier ouvrage sous le nom de Claude Anet surgit tout naturellement aux Éditions de la Revue blanche en 1901. Vain de chercher chez ce débutant les habituels tâtonnements. Absorbant le naturalisme, il est déjà l’adepte de ce romanesque fortement architecturé qu’il améliorera, baigné d’une sensibilité souterraine d’autant plus violente. Cinq nouvelles décrivent avec humour mais sans méchanceté les drames et les joies de la médiocre noblesse et des bourgeois d’un gros bourg. La morale ni le pittoresque n’intéressent Anet mais le mystère, l’invisibilité, l’intangible des êtres. Il décape pour mieux libérer la vie.
Rendu hommage à Stendhal, aux naturalistes, Anet désormais ne tient plus en place. Il fourmille, il trépide d’aventures en aventures. Grâce à la Perse en automobile (F. Juven, 1906), photos à l’appui, le voilà « star reporter » au Temps et au Petit parisien. Il s’installe trois années en Russie, mieux encore il assiste à la Révolution bolchevique de 1917. Son titre : Correspondant de guerre civile. Ce qui déplaît au nouveau pouvoir. Prison. Fuite. Perte de ses biens, notamment un très beau Ingres « le portrait du Comte Gourief » qu’on retrouve de nos jours au musée de l’Ermitage (Saint-Pétersbourg). Dure leçon. Prodigieux acquis, les quatre volumes de la Révolution russe de mars 1917 à juin 1918 (Payot, 1917-1919).
Dans la foulée son classique Ariane, jeune fille russe (la Sirène, 1920) révèle l’obsession de notre auteur pour les jeunes filles. Répétition maniaque, majeure du mot « pur ». Quant aux femmes en général, Anet parle souvent d’illusion. Ariane : un peu dans le naturel absolu, sans artifice, une Claudine russe qui fait tourner en bourrique hommes et femmes, ne se livre pas. Attention, la passion est le point de mire, surtout si on feint de la nier, de s’en moquer, de la séquestrer. Champ de bataille entre Ariane et celui qu’elle nomme à la fois par dérision et respect « le grand prince » Constantin Michel. Méprise de ce don Juan qui ne se rend compte ni de l’abandon de sa virginité par l’adolescente ni de la hauteur de son amour. Pour se venger Ariane s’invente des amants, elle le détruit. Cependant, après s’être refermé leur amour, après avoir failli s’ouvrira dans l’extraordinaire scène finale du train du « coupé »1. Exultation. Lévitation. Égalité du couple.
Il rédige Quand la terre trembla (l’Illustration, 1921) sur sa vieille Corona. Réplique romanesque au documentariste de la Révolution russe. À nouveau une jeune fille, la princesse Lydia Volynski, en face, un homme d’expérience marié, Nicolas Savinski. Décomposition d’un monde. Composition d’un amour inconnu, irrationnel. Tolstoï est le modèle de ces deux livres. À peine quelques années sépare cette œuvre de son double préhistorique la Fin d’un monde (Bernard Grasset, 1925).
La Rive d’Asie (Bernard Grasset, 1927) s’appuie sans doute sur son essai de biographie de l’année précédente. Dans ce « roman », le je est catégorique, les masques lumineux. Jeunesse, primes amours. Initiation. Rencontre périlleuse de Madeleine, pécheresse et repentie dans la même minute. Turquie. Mariage. Tiraillement entre Orient et Occident. Retour en force, triomphal de la jeune fille Djémila. « Une volupté sans fièvre. La terre asiatique tenait ses promesses. L’amour, le plaisir, il n’y avait ici rien de bas… Et cette fille neuve… » Comment ne pas y découvrir le bleu sans mesure d’un poème persan.
Mayerling (Bernard Grasset, 1930). Anet très malade s’est donné le temps de la foudroyante rencontre du prince impérial Rodolphe et de « la petite fleur bleue » Marie Vetsera, baronne « toute enfantine encore ». Jamais la sécheresse documentaire n’aura été aussi cinglante ni le feu sous la cendre aussi ardent. Chapitres courts. Dans l’urgence. Fébrilité souveraine qui affirme le trait. Roman historique blasonné aux noirs fracassants d’un Rouault, à la tendre précision de son ami Bonnard. Anet, sculpté par la maladie à travers une lumière aveuglante fixe le spectre, le squelette, les terribles articulations d’un même implacable : la passion.
Ni pour ses héros, ni pour lui, il n’est plus maintenant d’ouverture. Claude Anet meurt d’une septicémie généralisée le 9 janvier 1931 à Paris. Il n’a pas 63 ans. Pour l’anecdote, mais révélatrice, Anet fut champion de France de tennis, consacra un ouvrage à la vedette de ce sport Suzanne Lenglen (Simon Kra, 1927). Il parlait plusieurs langues, le russe, l’anglais, un allemand composite, pas mal le persan. Après le tennis, il pratiqua le golf, se prédisait pour les vieux jours qu’il n’eut pas le croquet.2

Yves Martin*

1 Compartiment privatif d’un wagon de train dans la langue de l’époque.
2Je remercie madame Leila Mabilleau, fille de Claude Anet et monsieur Bernard Guiremand, lettré et cinémage, sans lesquels cette étude serait demeurée « en suspens ».

* Derniers ouvrages parus : Le Partisan suivi de le Marcheur
et Manège des mélancolies (la Table Ronde, 1996).

L’Homme au grand manteau marron et au chapelet persan Par Yves Martin
Le Matricule des Anges n°17 , septembre 1996.
LMDA PDF n°17
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