Le récit refuse l’intrigue, que pourtant mille liens cimentent, tels l’amitié entre deux « garçons » ayant franchi la quarantaine dont le narrateur. Celui-ci vit dans une petite ville de province où son métier consiste à vérifier l’état de la voirie. Il regrette Ève, la première femme et découvre Sophie, sans cesser de vivre au ras du quotidien, appliqué à écrire. À écrire ce qui se laisse écrire lorsque : « On a compris ! Bon, on conteste la vision frontale, il y a l’éclatement scénique, les histoires embrouillées les unes dans les autres, l’instance narrative -des excuses faciles à la confusion, des façons légères de se débarrasser la conscience du devoir de construire la fable ». L’auteur, directeur de la revue Le Cheval de Troie dont c’est ici le deuxième roman, d’une écriture posée qui prend de la vitesse dans la colère et une pointe de prosaïsme pour évoquer la vie ordinaire, déroule le fil de ce qui s’échange avec soi-même ou l’autre, de ce qui va passer au crible de l’écriture ou sous silence ; avec « le projet d’un pur constat ». Voici d’abord Ève, la femme aimée enfin dans le vertige et l’abandon de soi, celle qui s’est esquivée pour ne pas avoir à porter cette joie de vivre et ces chaînes par elle découvertes. L’écriture tentera de colmater son absence, comme la confection longue et compliquée d’un gâteau préparait sa venue. C’est encore à Ève qu’il s’adresse pour parler de Sophie aux grandes jupes noires de bonne sœur qu’elle déploie ou fait frémir avec des ressources surprenantes de féminité, à qui il exprime sa révolte contre les cadrages stupides de l’actualité télévisée, les miasmes du racisme s’infiltrant jusque dans ses rêves.
Le ton et les propos ne perdront jamais leur sérieux un peu sentencieux qu’une sourde angoisse rend tolérable. Mais voilà qu’en s’ouvrant de sa vie, Sophie a repris le fil du récit qui se détend, indéfiniment prolongé par d’imminentes rencontres.
Comme dans la vie ou les romans ? À vouloir épurer, l’auteur n’épargne à son lecteur ni le poids de la réflexion théorique sur l’écriture ni la confusion dénoncée.
Faux en écritures
Maurice Darmon
Deyrolle éditeur
118 pages, 89 FF
Domaine français Les risques du faussaire
décembre 1996 | Le Matricule des Anges n°18
| par
Christine Fiszer-Guinard
Un livre
Les risques du faussaire
Par
Christine Fiszer-Guinard
Le Matricule des Anges n°18
, décembre 1996.