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Domaine français Les patisseries fines de Xavier Bazot

mars 1997 | Le Matricule des Anges n°19 | par Thierry Guichard

Sous couvert d’une fantaisie gourmande, Xavier Bazot nous régale de mille destins croisés dans le fourmillement d’une pâtisserie de famille.

Un fraisier pour dimanche

Le narrateur du deuxième roman de Xavier Bazot se souvient qu’un professeur d’anglais, Mr Winter, vint quelques mois habiter une chambre de la grande pâtisserie familiale. Voulant des nouvelles de ce joueur de flûte, il questionne sa mère : « Winter ? Je ne connais pas de M. Winter, un Anglais ? (…) Qui habite ici ? Tu te trompes, nous n’avons jamais eu de locataire. (…) Monsieur Hiver, traduis-tu, pensive : ça me paraît plutôt un nom de ton invention" (…) Avant que je t’en parle, belle oublieuse, le passage chez nous de Mr Winter a eu lieu, m’est un point de repère quand je veux placer un autre événement. Si tu mets en doute le sérieux de ma mémoire, accusée de créer des personnages fictifs, comment démêler le vrai du faux ? ». Au seuil d’Un fraisier pour dimanche, le lecteur est prié de croire que tout ce qu’il va découvrir est vrai. Et ça l’est puisqu’aussi bien, tout est inventé.
Quelle crédibilité apporter au récit de la naissance catastrophique du narrateur ; lui-même commençant dès le premier jour un compte à rebours de son poids : « Cinq semaines Dieu merci cinq kilos, quatre kilos à six semaines, trois la septième, deux et demi moitié de la huitième. Je vomis telle la baleine, en jets hauts de un mètre, qui retombent en cataractes sur ma figure » ?
On conçoit en revanche l’ire dont il fait preuve vis-à-vis du médecin (« mon assassin ») client toujours fidèle de la pâtisserie. Et on ne résiste pas, en apéritif, à donner ici l’entière première page du roman : « Comment peux-tu, ma mère, ton sourire n’est même pas commercial, il trouve le moyen d’être sincère, ton cœur est sans rancune, parce que je manque, nourrisson, trois fois mourir, tu crois que je vivrai un siècle, comment fais-tu pour, tous les dimanches matin, servir aimablement ses gâteaux au médecin qui essaya de me tuer ? Qu’ils meurent aussi rapidement qu’ils voudront de maladies non diagnostiquées, que lui vive pour rabattre sur leurs visages les draps des lits de sa clinique, ne vas-tu pas jusqu’à, en lui rendant sa monnaie, lui demander des nouvelles de ses enfants ? »
Il est difficile de comprendre pourquoi Xavier Bazot et les pâtissiers n’ont pas encore été mis à l’index par quelques extrémistes catholiques. Car les pâtissiers et Xavier Bazot incitent au péché de gourmandise. Autant, parfois, il est vain de résister aux appâts des vitrines, autant, ici, il faut faire preuve d’une belle abstinence pour ne pas, tel un plagiaire, tout citer du livre. Avec ses phrases labyrinthiques où la recherche du sujet est un sport, Xavier Bazot nous donne des talents de funambules et nous gavent de sucreries si légères que nous gardons une taille de ballerines. Auteur de nouvelles, il évoque souvent, en une seule longue phrase, la vie d’un personnage, et, arrivé au point, sa mort. Ainsi, à propos de Jean-Christophe, ancien apprenti mal traité par sa mère : «  (…) viens habiter ici, grandis, es reçu ouvrier, t’épanouis, fréquentes Hortense, une des vendeuses, pars faire ton service militaire, es envoyé en Algérie où la guerre a éclaté, reviens chez nous lors de tes permissions, te fiances à la belle Hortense, dans le mois qui suit es tué en Algérie. » Les vies défilent comme des météores mais elles laissent, en bout de course, une émotion forte. Si cela n’est pas du talent…
On aura remarqué l’utilisation quasi systématique de l’interpellation via le tutoiement ou le voussoiement. Le narrateur convoque chaque personnage comme à un théâtre d’ombres ; il est naturel, alors, que le verbe soit premier. L’action précède l’essence. Ce qui pourrait passer pour une fantaisie, une virtuosité vaine d’écrivain, ces phrases qui glissent entre les virgules, les inversions, prend finalement tout son sens. La parole, ici, donne la vie dans le temps même où elle se fabrique.
Le langage est le substitut de la sexualité pour notre narrateur dont les quinze ans crient famine. Il est vrai qu’entouré des femmes de la pâtisserie, d’une sœur dont il rêve de caresser la « chevelure épaisse d’adolescente, mordorée, qui se balance entre (s)es reins », la tentation est forte. Et la vie cruelle à ne pas accéder à ses désirs : « Comment, avec la période de ta vie où tu es le mieux disposé à faire l’amour, où jouir cinq fois dans une journée t’est ordinaire, peut coïncider l’époque où connaître une femme t’est le plus rigoureusement impossible ? ». Pour autant, la sève peut couler à flots dans le corps de notre garçon, son langage n’en demeure pas moins châtié. Voire anachronique avec, notamment, ses « chansons du palmarès » dont on devine qu’elles sont du Top cinquante. Son père, sa mère, parlent de même. Et combien de clientes peut-être, viennent à la pâtisserie pour se faire servir des paroles si chantantes ? La pâtisserie apparaît comme un îlot de résistance, à l’industrialisation des gâteaux et à l’affadissement de la langue. Résistance vaine, probablement, puisque, tout autour de nos artisans, la maison se fissure.
Cet amour de la langue (comme des pâtisseries fines) singularise un auteur qui ne puise pas ses références dans les romans américains, qui refuse la désacralisation de la littérature comme de l’amour. On en trouve, une fois encore, l’illustration dans le roman, lorsque le dimanche, la famille examine « tels des géologues un terrain » les gâteaux de la concurrence. En analyse gustative, le narrateur est expert : une absence de peau sur la langue et le palais lui a fourni une hypersensibilité. Gageons que l’auteur lui-même possède ce genre d’infirmité.

Un fraisier pour dimanche
Xavier Bazot

Le Serpent à Plumes
108 pages, 75 FF

Les patisseries fines de Xavier Bazot Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°19 , mars 1997.
LMDA PDF n°19
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