Arnaud Bédouet mêle la grande histoire à celle plus intime de ses personnages. Sa première pièce, Kinkali, se déroule en Afrique, dans un pays inventé, le Bosamba, après la colonisation française. C’est un huis clos où six personnages, quatre Français et deux Africains se retrouvent enfermés dans un hôtel car l’armée du pays, en lutte contre les rebelles, a investi le village. La mort est omniprésente, la peur du massacre plane en permanence. La description de l’hôtel, assez réaliste et en même temps complètement surréaliste, donne le ton de cette pièce. L’auteur propose pour décor un mur mais pas de plafond, juste des filins d’acier auxquels sont suspendus des ventilateurs car, pour le patron du bar, ces filins, « ce sont mes méridiens. Ils découpent le ciel. Chaque soir, à la même heure, les étoiles viennent prendre leur place. Ce sont mes clients d’en haut. Ils ont leurs habitudes. Imaginez si je leur infligeais un toit. Quel ramdam là-haut ».
Arnaud Bédouet nous donne deux images de l’Afrique. L’une terrible, avec la misère, la violence, la maladie, la corruption et l’autre rêvée, celle « des grands arbres, des fleuves larges comme des pays… » dont on ne peut se détacher car elle exerce une fascination extrême. La pièce oscille de même entre le réquisitoire (par exemple, un médecin raconte avec force détails sa prochaine opération à la pince à épiler avec du whisky pour seul désinfectant) et des moments, trop rares, de poésie où les personnages se révèlent différemment, où leur part d’ombre apparaît en pleine lumière.
Entre blanc et noir, entre ombre et lumière, il y a une promesse de bonheur insaisissable. Kinkali se termine sur des constats d’urgence dont celui-ci : « l’important est de sauver la connaissance des sorciers… Demain on amènera des sorciers dégénérés sur des sols nus et on les suppliera : s’il vous plaît, pour l’humanité, donnez-nous vos secrets. Et ils répondront : Aspirine du Rhône ».
Kinkali
Arnaud Bédouet
Actes Sud-Papiers
95 pages, 90 FF
Théâtre Entre l’ombre et la lumière
mars 1997 | Le Matricule des Anges n°19
| par
Laurence Cazaux
Un livre
Entre l’ombre et la lumière
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°19
, mars 1997.