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Domaine étranger L’homme brûlé

mars 1997 | Le Matricule des Anges n°19 | par Philippe Savary

Le Suédois Stig Dagerman a mené un dur combat contre lui-même pour se délivrer de ses obsessions. Biographie d’un « vaincu de la vie » courageux.

Stig Dagerman ou l’innocence préservée

Dans une courte nouvelle d’inspiration autobiographique, Stig Dagerman rêvait d’un lieu où les hommes pouvaient « vivre à la fois une vie hors nature et mourir de mort naturelle ». Une existence accomplie, engagée, créatrice, libératrice, en sorte. Il y avait tant de choses à faire pour ce jeune écrivain anarchiste, ce « politicien de l’impossible », comme il se définissait lui-même. Davantage idéaliste qu’activiste, Dagerman voulait mettre un peu de justice et d’équilibre dans ce bas monde, lui qui rendait l’État responsable de la névrose du peuple et qui attribuait à l’écrivain « le rôle modeste du ver de terre dans l’humus culturel. » Cette vie extraordinaire, au sens où il l’entendait, porteuse de lumière et d’espoir, cet enfant prodige des lettres suédoises ne l’a guère connue de son vivant. La mort naturelle, non plus, du reste, puisque Dagerman se suicida dans son garage, au volant de sa voiture, asphyxié par les gaz d’échappement, à l’âge de trente et un ans.
Pareil à ces jeunes fous qui ont brûlé rapidement leur vie (Kleist, Rimbaud, Sá-Carneiro…) sa production littéraire fut d’une incroyable fécondité. À 22 ans, il écrit son premier roman, Le Serpent. Suivront trois autres (L’Ile des condamnés, L’Enfant brûlé et Ennuis de noce), un recueil de nouvelles, des pièces de théâtre1, des scénarios de films, des poèmes satiriques, des reportages, et une kyrielle d’articles, de critiques, le tout entre 1945 et 1949.
Puis une longue période de silence, -la peur de décevoir, la faillite de ses convictions, muées en une détresse inhibitive- jusqu’à sa mort en 1954.
On a souvent rangé Dagerman parmi les écrivains maudits. À tort : il jouissait d’une grande popularité, son éditeur lui assurait de généreuses avances sur recettes, son œuvre était même lue à la radio. À l’image de Camus ou de Sartre en France, Dagerman était la conscience de toute une génération. Porte-parole des idées existentialistes, il incarnait cette jeunesse de l’après-guerre, arrogante, lucide, révoltée parce que rejetée du grand théâtre où s’était faite l’histoire, en quête d’un vaste idéal de fraternité. Malgré son incurable timidité (il prit des cours de danse pour la vaincre), Dagerman était la représentation de l’homme nouveau : il aimait les belles voitures, adorait le cinéma (particulièrement Fritz Lang), les voyages en bateau, ainsi que le football, le jeu à la roulette… Difficile ne pas voir dans ces symboles d’évasion, une recherche de la transcendance, de l’intensité dramatique que le travail artistique ou l’idéalisme révolutionnaire (à ses débuts) lui procurait. Déjà, adolescent, il aimait respirer l’air des grands départs, à la gare centrale de Stockholm, en rêvant qu’il avait, dans la poche, un billet pour la Chine.
En 1949, dans une lettre qu’il envoie au directeur du théâtre d’Hambourg, Dagerman se présente ainsi : « Le thème central de mon œuvre est l’angoisse de l’homme moderne face à une conception du monde qui s’écroule (…) et je crois qu’une des possibilités de salut consiste à ne pas se laisser vaincre par son angoisse, ni à fuir devant soi-même, mais à affronter le danger les yeux ouverts. » Regarder le chaos en face, quitte à se brûler la rétine…
La jeunesse suédoise voyait en ce jeune écrivain-journaliste, à la plume fiévreuse et insolente, un quêteur de vérité -les possibles conditions et en même temps les limites de ce que devait être un engagement politique et éthique. Pourtant cet homme, au faîte de la gloire, est un être pur, fébrile et exalté à la fois, sans grande assurance, rongé par une vie que la psychanalyse chérit : une mère qui l’abandonne à la naissance, une enfance paysanne à la ferme des grands-parents, un grand-père -qu’il respectait tant- assassiné par un illuminé, une adolescence grise (il dormait dans la cuisine) entouré de son père et de sa belle-mère à laquelle il ne parlait pas ; un ami, emporté par une avalanche, un mariage à l’âge de 20 ans avec la fille d’un anarchiste allemand qui a lutté contre Franco, un remariage à 27 avec l’actrice Anita Björk…
Sa propre existence était une source inépuisable d’images et de symboles pour son inspiration. Et c’est avec une précision violente et poétique que ses livres rendront compte de ce désordre intérieur.
Le thème de l’angoisse -auquel répondent et s’alimentent ceux de la peur, de la solitude, de la culpabilité, de la mort-, Dagerman en a fait son moteur exclusif pour nourrir sa fibre créatrice.
La rencontre de Kafka en 1945 (comme celle de Faulkner ou Hermann Hesse) sera déterminante. Il y découvre certes son double, mais également le trouble, face à ses convictions. L’engagement politique est-il vraiment la réponse au problème de l’existence ? Y a-t-il du reste une réponse ? Pour Dagerman, la littérature est alors un refuge -le silence face au monde- où la quête rédemptrice est possible : « Puisque je doute toujours de moi-même, de l’originalité de mon talent, de la légitimité de mes opinions, je suis constamment obligé de chercher une confirmation ailleurs… » Cette recherche de la vérité - « supporter l’idée que cette vie est vide » -, corroborée par cette incapacité à concilier sa conscience sociale à celle d’écrivain, prendra la forme d’un duel sans merci que l’écrivain mènera jusqu’à sa mort. seulement nous avions une lumière pour nous y cacher, écrit-il dans une lettre en 1954.
Rendons hommage à Georges Ueberschlag. Sa biographie de Dagerman -la première qui paraît en France2- est d’une parfaite honnêteté. Elle s’attache, chronologiquement, à expliquer l’évolution de cette personnalité si complexe, illustrée par l’écho poétique que son œuvre renvoie (à ce sujet, on regrettera, malgré tout, les traductions de Philippe Bouquet et de C.G. Bjurström…). Une belle invite à relire ce « vaincu de la vie » pour qui et pour toujours « notre besoin de consolation est impossible à rassasier ».

1 À l’occasion des Boréales de Normandie, les Presses universitaires de Caen viennent de publier L’Ombre de Mart (1948). Dagerman y développe le thème de la culpabilité à travers la relation mère-fils (142 pages, 65 FF).
2 Seules des études sur Dagerman ont été publiées en France. La référence reste le dossier réalisé par Plein Chant en 1986 (numéro 31-32) aujourd’hui épuisé.

Stig Dagerman ou l’innocence préservée
Georges Ueberschlag
L’Élan (9, rue Stephenson 44 000 Nantes)
304 pages, 147 FF

L’homme brûlé Par Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°19 , mars 1997.
LMDA PDF n°19
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