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L'Anachronique Une belle femme

juillet 1997 | Le Matricule des Anges n°20 | par Éric Holder

Nous avons dû nous rencontrer pour la première fois ailleurs que dans la quincaillerie, parce que je me rappelle très bien qu’en entrant dans la quincaillerie, je l’ai reconnue. Nous nous étions déjà vus, donc. Qu’on n’espère ici nulle mise en abyme ( nous nous connaissons depuis toujours ), ni de formule plate ( nous nous sommes déjà vus quelquepart ). Simplement, voilà, nous avions le sentiment de nous être, mettons, auparavant, croisés.
Elle était de l’autre côté du comptoir, à la quincaillerie. Elle portait une blouse grise, une blouse d’homme, de ces blouses qui semblent surgies du sol, ou du passé, et qui remmémorent que dans un autre temps, après avoir ouvert la porte de derrière, à huit heures du matin, on enfilait ce vêtement.
Qu’est-ce qu’il vous faut ?
C’était demandé avec un peu plus que de la gentillesse. C’était demandé avec une sorte d’étonnement de sa part. Qu’est-ce qu’il vous faut, mais comme si elle disait : qu’est-ce que vous faites ici ? Des vis. Beaucoup de vis. Du 3, 5 x 45, phosphate. C’est pour l’isolation. Et je savais qu’au même moment, elle entendait dans mon intonation : et vous, qu’est-ce que vous faites là ?
Elle n’était pas belle comme on imagine la beauté, et je ne suis pas beau non plus. Je porte des lunettes, elle en avait aussi.
Elle n’était ni grande, ni avec des grosses fesses, ni avec des gros seins. Elle était tout menue, au contraire, dans sa blouse d’homme. J’ignore de quoi j’avais l’air, avec mon treillis sali de plâtre. Et nous nous sentions un peu stupides, d’un côté comme de l’autre du comptoir, elle n’amenait pas les vis phosphate, je ne les réclamais pas non plus. C’était le matin sur la province. Il est frais et neuf. Parfois, au point qu’il sent le café torréfié. Nous nous attardions - je parle pour moi, mais j’en ai la certitude pour elle - au milieu de cela. Un autre client vint. Il fallut aller chercher les vis phosphate.
Je vous connais, Madame. C’est l’honnêteté qui vous rend belle. La droiture, que tout en vous exprime, vous fait une auréole plus attirante qu’une paire d’yeux mauve, et, je suis désolé de vous le dire, vous avez des soeurs. L’une d’elles vendait des vélos boulevard Beaumarchais à Paris, elle s’y retrouvait en plateaux et pignons comme peu d’hommes, une autre était employée dans une boulangerie. Un après-midi d’été, devant la gare, en compagnie d’un ami descendu du train, nous nous étions assis à une table voisine de la sienne, sans nous en rendre compte d’abord. Elle était avec son mari et son enfant. On se jetait des regards à la dérobée, gênés de cela, l’ami, le mari, l’enfant. Pourtant, que s’était-il passé entre nous ? Rien.
Et puis il y avait eu la décompteuse. Elle gagnait depuis quinze ans six mille balles par mois à rembourser des fiches de Sécurité Sociale, elle était déléguée CGT. Il y avait deux sortes de cantine, là où elle travaillait, une pour les ouvriers, la seconde était réservée aux cadres. Vous pensez si c’était facile, de l’inviter au restaurant ! Ses enfants étaient en A : Arthur, Anne et Agathe. Elle se penchait au-dessus de la table pour toucher mes lèvres et disait, je vais sentir le vin, tant pis. Au-dehors, par les vitres, on voyait les platanes vert clair frissonner sous un ciel lavé, et les premières hirondelles. Cela ne se reproduira plus. On fait trop de mal, à tout le monde, et je vous rappelle, de mémoire, cette belle phrase de Claude Mauriac, « Mon Dieu, pourquoi est-ce un tel péché d’aimer ? ».
Ne soyez pas étonnée qu’au moindre clou manquant, maintenant, ce soit vers vous que je me tourne. Au point de commander des articles farfelus, ou que vous n’avez pas en rayon. Cela vous fait rire, de me savoir si piètre bricoleur, et moi, j’aime bien votre rire. Vous ne vous en doutez pas, mais je suis patron. Je dirige une P.M.E. de sentiments. Et j’ai des ouvrières.

Eric Holder

Une belle femme Par Éric Holder
Le Matricule des Anges n°20 , juillet 1997.