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Domaine français Jacques Roubaud : le temps à l’oeuvre

juillet 1997 | Le Matricule des Anges n°20

Avec Mathématique : et avec L’Abominable Tisonnier de John Mc Taggart Ellis Mc Taggart, l’oeuvre de Jacques Roubaud étend ses racines dans les profondeurs infinies du temps.

L' Abominable tisonnier de John Mc Taggart Ellis Mc Taggart

Les gens qui aiment ce genre de choses trouveront que ceci est du genre des choses qu’ils aiment », prévient Jacques Roubaud en page de garde de Mathématique :. Cette citation énigmatique, signée Abraham Lincoln en dit long sur l’étrangeté du livre et le dialogue flegmatique qui suit : « -Ah… Et Lincoln a dit ça ?/ - Oui/ - À propos de quoi ?/ - D’autre chose », en annonce l’esprit ! Contrairement à ce que son titre peut laisser présager, Mathématique : n’est pas un livre raisonné sur cette science, même s’il dit s’appuyer sur certaines de ses théories, mais un récit autobiographique. Le livre est composé de quatre chapitres qui comprennent moult paragraphes numérotés et entrecoupés d’incises, longues parenthèses destinées à apporter des informations supplémentaires au contenu du récit et qui, de parenthèses en parenthèses (et aussi en bifurcations, autres chemins de traverses proposés aux lecteurs les plus téméraires), conduisent au coeur d’une forêt textuelle épaisse et labyrinthique. Certes la construction est complexe mais le résultat est des plus jubilatoire.
« Ce genre de chose » est le troisième volume d’une série de récits autobiographiques dont le premier s’intitulait Le grand incendie de Londres (publié dans la même collection en 1989), suivi en 1993 par La Boucle. Après s’être penché plus particulièrement sur sa formation en poésie et sur son enfance, Jacques Roubaud mathématicien porte cette fois son regard sur une période de son existence qui correspond à sa découverte des mathématiques. Sur sa « vie mathématique », il livre quelques années et quelques événements, triés sur le volet, en fonction semble-t-il, de leur caractère marquant. Au moment où commence le récit, en 1958, l’étudiant Roubaud se trouve dans une impasse intellectuelle. Il avait précédemment décidé de devenir poète (sujet abordé dans les deux précédents volumes) et s’était lancé dans l’étude de cette discipline. Mais son abord scolaire s’avère contraire à sa propre conception de la poésie. Il cherche alors d’autres matières à étudier qui lui permettraient tout en s’en éloignant de la protéger. Une possibilité d’évasion s’offre alors à lui, une « Vita nova » qui a pour nom mathématiques. Suit la période d’apprentissage de la matière, la fréquentation des cours de l’institut Henri-Poincaré et la découverte, déterminante, des mathématiques modernes. Pourtant, en 1960, année où s’achève le livre, une nouvelle impasse se profile, celle justement de l’étude de cette nouvelle science…D’une période précise de son existence il est donc question mais comme l’auteur le souligne, il serait inexact de réduire ce troisième volume ou « branche » (l’oeuvre dans sa totalité étant assimilée à l’image du figuier et de ses arborescences) à l’autobiographie de « sa vie Mathématique ». En effet, cette nouvelle « branche » comme les précédentes, s’inscrit dans un « Projet », fort étrange à vrai dire, puisqu’il prend racine dans la prise de conscience de l’impossibilité d’écrire un roman, lequel, s’il avait vu le jour, aurait été baptisé Le Grand Incendie de Londres, le même titre, mais avec des majuscules, que le premier livre de l’entreprise autobiographique de l’auteur. Les trois volumes et ceux qui suivront participent donc à la biographie de ce « Projet » ou, précise Jacques Roubaud « (autobiographie, si on veut, mais seulement au sens banal où il s’agit de mon projet, regardé et raconté par moi) ».Partant du principe qui consiste à raconter l’histoire d’un projet avorté, à la poursuivre et à la commenter sur des centaines de pages, Jacques Roubaud s’offre un espace d’écriture infini et livre ainsi des récits de mémoires inattendus et singuliers. D’autant plus singuliers que si cette histoire d’origine est en soi une contrainte d’écriture (et sa justification) elle n’est pas la seule. Un autre axiome de la narration s’impose dans « la fluidité absolue de ses développements ultérieurs, l’absence de plan, le refus d’être lié à la moindre affirmation de son futur ». Axiome qui justifie ces fameuses incises ou bifurcations venant interrompre le récit et où s’accumulent les souvenirs. « Un souvenir est constitué et reconstitué sans cesse d’un balancement (en perpétuel glissement selon l’axe de l’avant et de l’après) entre passé et futur, entre mémoire et imagination. » Le véritable sens de l’oeuvre revient à tenter de saisir par l’écriture le parcours sinueux, capricieux, non hiérarchisé de la mémoire, tout en respectant sa part de mystère.Quant à la place de la mathématique dans ce grand jeu de mémoire, elle est double. Elle est donc le troisième volet de l’entreprise mais elle en est aussi l’une des clés : la théorie des ensembles sert de charpente à la construction du récit.
Après ce troisième volet du projet, l’étonnement à la lecture de L’Abominable Tisonnier de John Mc Taggart Ellis Mc Taggart est moindre. Suite de biographies écrites, L’Abominable Tisonnier…, explique Jacques Roubaud en « prélogue », a été écrit par son (présumé) ami, le chimiste monsieur Goodman. Persuadé d’être entré dans l’année de sa mort, monsieur Goodman se met à s’intéresser de très près à la notion du temps. Après maintes études sur la question, il conclut que seul le temps « vécu par des êtres réels » mérite qu’il s’y attarde. Sur le modèle des Vies brèves d’Aubrey, il écrit la biographie de personnages célèbres, dont le présent recueil est sensé être la traduction en français. Le jeu, comme il est expliqué dans le chapitre consacré justement à la « Vie brève des Vies brèves de John Aubrey », consiste, entre autres, à jeter sur le papier tout ce que sa mémoire a retenu du personnage, quitte à laisser en blanc les épisodes biographiques dont il a perdu le souvenir. La longueur de la biographie pouvant dépendre des souvenirs conservés. Trente vies, plus ou moins brèves, plus surprenantes les unes que les autres, composent ce recueil d’un genre nouveau. Une « branche » supplémentaire à la grande oeuvre de Jacques Roubaud !

Jacques Roubaud
Mathématique
et
L’Abominable Tisonnier de John Mc Taggart Ellis Mc Taggart et autres vies plus ou moins brèves
Seuil, 280 et 330 pages, 120 et 130 FF

Jacques Roubaud : le temps à l’oeuvre
Le Matricule des Anges n°20 , juillet 1997.
LMDA PDF n°20
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