Savoir qui l’on est en essayant de se détacher de soi-même et de revenir au commencement, aux origines. Revenir comme une sorte de boucle à ce point que nous sommes et apporter à la trajectoire telle ou telle retouche qui désormais nous semble s’imposer. » C’est en ces termes que Pierre Bergounioux évoquait lors d’un entretien, un des aspects de son travail d’écrivain, qu’il considère comme indissociable de sa vie même. Après Le Chevron, son précédent livre où sa quête obstinée et féconde de l’authenticité l’avait conduit une fois de plus en Corrèze, le pays de ses origines pour y découvrir que son existence, son cours et son tracé s’apparentait à l’expérience du « Mamelon vert et toujours renaissant », le dessin du paysage répétitif de son enfance, c’est toujours en Corrèze mais au bord de l’eau et une canne à la main que sa trajectoire a légèrement dévié avec La Ligne. « On ne choisit pas plus, écrit-il, la réalité extérieure que le goût des rêves ou le philtre ténébreux. »
« On est les choses auxquelles on naît », écrivait-il dans Le Chevron. « J’ai horreur du poisson », sont les premiers mots d’un livre, qui même si, somme l’auteur l’exprime au début de La Ligne en citant Lord Grey Of Fallodon : « Tout le monde n’a pas le goût pour les mêmes plaisirs et l’on ne désire pas entendre parler de ceux des autres », décrit pourtant l’expérience d’un plaisir. À ceci près -et ce n’est pas un détail car là réside le sens du livre- que cette attraction, cette fascination pour la pêche, l’auteur est viscéralement convaincu de ne l’avoir pas choisie, mais d’en avoir hérité de son père, de son grand-père, « et d’autres, avec eux, que je n’ai pas connus mais dont ils se souviennent et dont il est sans importance que je ne sache même pas qu’ils ont vécu. Ils furent. Ils avaient ce goût. Il a passé dans le sang… ». Il en est le réceptacle.Si de pêche, il est question dans La Ligne, on imagine qu’un tout autre loisir aurait pu aussi bien faire l’affaire. Et ce sentiment prégnant d’être une présence au monde à la merci du temps et des éléments, il aurait passé comme dans chacun des livres de Pierre Bergounioux, avec la même force d’évocation. Seulement, c’est au bord de l’eau, une canne à la main et nulle part ailleurs que son père allait noyer sa mélancolie, que son grand-père se montrait songeur et c’est cela même, ces deux attitudes, ces deux manières d’être au monde qui ont été transmises à l’écrivain. « Je n’ai jamais approché de sang-froid une source, une mare, un ruisseau. Le moindre mouvement de l’eau me met en émoi. Mon père qui cuve en moi son chagrin, lève les yeux, s’anime. » « Nous sommes agis, écrit-il plus loin, mus par quelque humeur fatidique, dedans ; dehors, le jouet des éléments. Comment expliquer, sinon, ce goût qui bouscule et vainc nos penchants fugitifs, et jusqu’aux pires aversions. » Que l’on adhère ou non à la manière avec laquelle l’auteur interroge sa propre existence et y voit des signes et des héritages, l’intérêt n’est pas là. Il réside dans une attitude introspective en parfaite osmose avec le verbe qui la décrit. De là cette impression d’avoir affaire à une oeuvre authentique, puissante et personnelle. Pierre Bergounioux ferre le lecteur au fil tendu de la phrase et jusqu’au dernier mot du livre il ne le laisse pas en repos. Admirable.
Marie-Laure Picot
La Ligne
Pierre Bergounioux
Verdier, 75 pages, 69 FF
Domaine français La Mémoire ferrée
juillet 1997 | Le Matricule des Anges n°20
| par
Marie-Laure Picot
C’est au bord d’un étang que Pierre Bergounioux s’est attardé cette fois pour raviver, toujours dans la quête éperdue des origines, des souvenirs, les siens et ceux immémoriaux de ses ancêtres.
Un livre
La Mémoire ferrée
Par
Marie-Laure Picot
Le Matricule des Anges n°20
, juillet 1997.