Publiés à deux ans d’intervalle, Patatras et Paso Doble peuvent se lire comme les deux tomes d’un même roman d’apprentissage. Celui du jeune Walter qui, à la recherche de lui-même, se heurte à toutes les désillusions d’une société vouée au culte du dieu « argent ». « Vers la fin des années 80, le monde semblait vraiment sur le point de tomber par terre, et moi, j’attendais, je ne faisais rien, que tourner en rond, jour après jour. » Ainsi démarre Patatras.
Comment nourrir le moindre idéal, en effet, quand on a vingt ans à Turin dans les années 80, qu’on est fils d’ouvrier et qu’il faut se jeter dans le grand vide d’un monde dominé par la consommation ? Vers qui se tourner lorsque la solitude intérieure ne rencontre au dehors que l’écho artificiel du prêt-à-communiquer ? Autant rester à lire sous la couette.
Walter aurait voulu passer sa vie ainsi. Mais, pris en tenaille entre les hurlements d’un père « obsédé par le mot carrière » et les continuels braillements de TéléMike, il n’a d’autre choix que de quitter le foyer paternel.
Sur les bancs de la fac de philo -où les étudiants troquent en deux temps trois mouvements la défroque des revolucionarios contre le look Armani- puis au Centre d’accueil des nomades et émigrés où il est affecté, ou plus exactement exploité, comme objecteur de conscience, le jeune garçon va vite déchanter.
S’affranchissant d’une forme de récit où pointe l’autobiographie, Paso Doble enfonce le clou jusqu’au surréalisme. « Un livre de poche gratuit pour trois achetés… Vous les lisez et nous vous les offrons ». Tel est le slogan de la librairie où notre héros est dorénavant taillable et corvéable à merci entre les rayonnages de revues de jardinage et les manuels en tout genre. Jusqu’à ce que le « Top manager » (chemise Ralph Lauren, veste Hugo Boss, etc.) lui annonce la stratégie ad hoc. « A partir de maintenant nous ne vendrons plus de livres, seulement des cassettes vidéo. Les trends de vente des autres shops du Team sont clairs plus personne ne lit alors que tout le monde possède un home-vidéo ». Désormais son envahissant travail lui laisse tout juste le temps de phantasmer sur les mini-jupes des vendeuses du magasin de fringues d’à côté. Heureusement, Tatiana, une rousse et macrobiote Allemande, lui fera découvrir l’amour… Avant que Walter ne replonge dans l’horreur économique jusqu’au délire final.
Avec la même verve ironique et incisive, dans un style rapide et direct, Giuseppe Culicchia, jeune romancier turinois de 31 ans, met au jour et dénonce les embrigadements de la société capitaliste moderne jusque dans ses formes les plus perverses. Ses personnages sont comme de grotesques pantins pris dans l’absurde tourmente du rendement où toute trace d’individualité se trouve finalement gommée par la puissance normalisatrice du code-barre, des marques et des messages télévisés. Face à ce morne constat, Giuseppe Culicchia manifeste un humour féroce avec une belle vitalité d’écriture.
On l’imagine littérature au poing comme d’autres brandissent des banderoles. Réjouissant.
Patatras et
Paso Doble
Giuseppe Culicchia
Traduits de l’italien
par Françoise Liffran
et Nathalie Bauer
Rivages
149 et 165 pages, p.n.c.et 99 FF
Domaine étranger Les refus du jeune Walter
janvier 1998 | Le Matricule des Anges n°22
| par
Maïa Bouteillet
Les deux premiers romans du jeune italien Giuseppe Culicchia livrent bataille aux années fric et toc. Avec le sarcasme du désespoir.
Des livres
Les refus du jeune Walter
Par
Maïa Bouteillet
Le Matricule des Anges n°22
, janvier 1998.