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Arts et lettres C’est pas de l’art, ça...

septembre 1998 | Le Matricule des Anges n°24 | par Thierry Guichard

Réunis sous un générique provocateur, artistes et écrivains opposent une radicale singularité aux consensus artistiques et politiques. Décapant.

L' Art dégénéré

Très mobilisées pour comprendre et lutter contre la propagation des idées d’extrême droite, les éditions Al Dante (après la publication sous la direction de Natacha Michel de Paroles à la bouche du présent. Le négationnisme, histoire ou politique ?, 1996) se sont associées au Collectif Aix Art Contemporain pour réaliser le catalogue de l’exposition L’Art dégénéré qui s’est tenue à Aix-en-Provence du 26 mai au 25 juin derniers. L’énoncé même de l’exposition, qui renvoie a l’Entartete Kunst organisée par Goebbels et les nazis, a de quoi provoquer. Comment peut-on, aujourd’hui, se qualifier d’artistes dégénérés ? La réponse joue sur un retournement ironique : face à la montée des extrémismes, au consensus mou qui ne s’y oppose guère, les artistes, en anticipant sur un avenir qu’ils dénoncent, semblent clownesquement devancer l’histoire (qui se répéterait) et dévoilent ainsi la monstruosité qui se cache sous les lois Debré, Pasqua, sous les déclarations de Chevènement tout autant que sur la légitimation chaque jour plus probante du Front national. L’exposition revendique donc une forte dimension politique. La deuxième provocation concerne plus directement le champ artistique. Voulant répondre à ceux qui dénoncent la crise de l’art contemporain, le C.A.A.C. en réunissant ces artistes sous cette ironique bannière renvoie les détracteurs de la contemporanéité à un rang de réactionnaires (pour le dire gentiment), de valets de l’extrême droite (pour l’énoncer plus violemment). Position radicale, donc contestable, donc saine puisqu’elle alimente le débat.
Composée de trois parties, cette anthologie pourrait servir de vade-mecum de la contemporanéité, si toutefois elle était moins volumineuse. La première partie donne des analyses très pertinentes du poète Jean-Pierre Faye mais surtout d’Alain Badiou et Sylvain Lazarus qui interviennent en tant que philosophes. Alain Badiou montre combien une société basée sur le nombre (consommateurs, électeurs, téléspectateurs) a renforcé le pouvoir de l’extrême droite. « Ce n’est pas parce que le Front national est numériquement puissant qu’on fait de partout des concessions à sa doctrine, écrit-il, (…). C’est au contraire parce que, depuis Mitterrand, et sur fond de libéralisme déchaîné, on a par tous les moyens éradiqué la figure ouvrière, raturé le mot « ouvrier » sous le mot « immigré », puis le mot « immigré » sous le mot « clandestin », que le Front national, conséquent avec ses prémisses, homogène à ce consensus, est devenu numériquement puissant. » L’illustration de cela se retrouve dans certaines des pratiques artistiques ou littéraires : « Mais après tout il en va de même d’un mauvais écrivain qui, lu et vendu d’abondance, devient « incontournable », et parle comme un augure, en sorte que simultanément on se gausse de lui dans la coulisse, et qu’on multiplie à l’écran les ronds de jambe devant lui. »
Dans une démonstration logique et quasi scientifique, Sylvain Lazarus en arrive à des conclusions assez proches. Pour lui, le consensus et son empreinte, la cohabitation, démontrent l’absence de multiplicité de la politique parlementaire. Il la trouve en revanche, cette multiplicité, dans les grèves de décembre 1995 et dans les manifestations de sans-papiers. Elle est le fait « « des gens » » et Lazarus remarque combien ces mouvements sont combattus par les partis dits démocratiques….
Si la troisième partie de l’ouvrage offre les notices biographiques de tous les intervenants, c’est bien la partie centrale, de loin la plus volumineuse, qui renferme l’anthologie des interventions de plasticiens et d’écrivains ou poètes. Dans leur contemporanéité l’art et la poésie s’imposent d’abord comme une chose étrangère, inconnue, dont le seuil se dérobe. Éloïse Lièvre qui ouvre ce cahier affirme même : « ça vous agresse : pas de début ni de fin ; rien qui se laisse voir dressé à votre vision modèle (…) Alors, cet inconfort de l’œuvre, imposé, d’emblée ça vous fout dehors (…) le regard que l’œuvre exige est radicalement d’un autre ordre, inconnu de vous. » On sait qu’un des critères d’acceptation de l’art dans les sociétés totalitaires est qu’il réponde à un souci de fédérer, de regrouper la masse autour de lui. Il lui faut l’évidence, l’ordre, la sécurité. L’art dégénéré se propose donc d’offrir tout le contraire et les œuvres présentées obéissent au refus radical de l’esthétique, de la beauté. Il faut rompre, briser les liens qui nous retiennent à une vision préétablie du monde. Feuilleter ce catalogue c’est donc prendre le risque d’être interpellé à chaque page. Très différentes, les œuvres qui nous sont données à voir jouent parfois sur une provocation violente : Esther Ferrer et son pistolet vibromasseur, Joël Hubaut et ses installations monochromatiques étouffantes, Valérie Cartier et sa cruauté corporelle. D’autres jouent sur l’accumulation des signes, le zapping, et le détournement : Nathalie Garrigou et son découpage de livres, Gloria Mundi et ses collages tapageurs, Laurence Denimal et ses jeux faussement naïfs.
Du côté des écrivains, on remarque souvent plus qu’une similitude d’écrits. La répétition (Prigent, Stacy Doris, Jacques-Henri Michot, Vincent Tholomé), le calembour (Charles Dreyfus) sont autant de planches savonnées glissées sous le texte afin que le sens dérape. Quant à Katalin Molnar, on appréciera sa démonstration. Expliquant que deux violonistes jouent de façon différente, elle en appelle à l’existence d’un français qui admette ces différences : « le fransè fasson Katalinn Molnar, on sé pa ske sé pourtan èl ègzist, sèt variant du fransè ègzist mé chpeû pam baladé avèk un pannô dans le kou, ékri dessu : Le fransè ke chparl ègzist. »
Un regret attaché à la nature anthologique de ce livre : il est d’autant plus difficile d’entrer dans les univers ou réflexions singuliers de ces artistes que l’on ne nous donne à voir de leur travail qu’un infime élément. Il faut considérer ce catalogue comme une invitation au réveil, comme un stimulant à ne pas rester sur une vision digérée du monde, un questionnement radical de notre société. Bref, comme un pavé jeté dans la mare des consensus.

L’Art dégénéré
Collectif

Al Dante / C.A.A.C.
(10, rue Thiers 13001 Marseille)
272 pages, 180 FF

C’est pas de l’art, ça... Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°24 , septembre 1998.