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Nouvelles Quelques petites pluies imprécises (nouvelle d’Olivier Arezki)

janvier 1999 | Le Matricule des Anges n°25

Né en 1972 à Paris, Olivier Arezki a déjà connu la publication en revue notamment grâce à Algérie Littérature Action, Cargo ou Calamar. Cet étudiant en licence de Lettres apprécie particulièrement les écrivains méditerranéens, qu’ils soient italiens comme Buzatti, Pavese, espagnols comme Cernuda, Lorca ou maghrébins tels Khair-Eddine ou Yacine. Mais il aime aussi les Français contemporains et les Anglo-saxons. Ainsi Djuna Barnes dont il vient d’apprécier Le Bois de la nuit (Points Seuil).

Encore une journée de perdue. Le réveil avait été calme, naturel, mais beaucoup trop tardif. En voulant grapiller quelques heures de répit à la nuit, j’avais déjà perdu la moitié de la journée. C’était une matinée de fin de fête. Mon anniversaire, si je ne m’abuse. Quelle peste d’être né un premier mai. Tout est fermé, ralenti, les gens attendent l’après-midi pour se balader dans les rues, ils sont comme engourdis par cette journée.
Les syndicats ont défilé pendant que tu dormais : tu remarques les tracts répandus sur la chaussée. Des éboueurs passent, ils ramassent tout. Les bouts de papier, les revendications salariales, les minutes d’euphorie des uns et des autres. Et pourtant tout ne rentre pas dans l’ordre.
Tu sais, je crois que tu as raison. Je comprends ton désir de fuir. Moi aussi j’en ai souvent marre d’attendre un soleil, un printemps qui ne vient pas. Mais je reste. Quelque chose va changer. C’est une évidence, même si je ne sais pas si cela viendra de toi, des autres ou de moi-même. De toute manière, les autres vont jouer un rôle. Comme toi, je ne suis rien sans eux, et eux-mêmes pris individuellement ne sont rien sans nous. Enfin, reste, ça vient, doucement, mais ça vient. Laisse-toi aller quelques jours, ne lutte pas contre les murs, laisse-les s’écrouler tranquillement, avant de foncer.
C’est paradoxal. Comment se fait-il que tu sois encore pleine d’énergie. Tu t’es couchée aussi tard que moi, près de moi, d’ailleurs, et tu as pris la plume dès que tu t’es levée, pendant que je continuais à somnoler. Que fais-tu, maintenant ? Qu’as-tu écrit avant de partir ? Je n’ai rien trouvé en me levant. Ton silence est plus riche que cent pages écrites ou dites. Il explique tout, il se développe, en gommant ce qu’il ne désire pas garder, il supprime, imprime une multitude de pages blanches.
Je sais qu’il ne comprendra pas. C’est si confus. Pour moi aussi d’ailleurs. Je souffre autant que lui. Mais comment lui dire que je le quitte pour rester. Nous porterons toujours la marque de notre union. Les petits signes qui la constituent se retrouvent partout : dans notre façon de penser, en ménageant les subtilités de l’autre ou en les attisant, pour le faire réagir, dans notre façon de boire, de chanter, de baiser.
Nous retrouverons notre individualité au sein de la collectivité, même si au premier abord, la collectivité paraît plus abstraite et plus anonyme, elle est le lien qui nous unit.
Oui, je pars, mais je pars pour rester, pour honorer les précieux moments passés en ta compagnie, pour les faire durer.
Je fuis l’enracinement, toi tu le cherches et ne le trouves pas.

Mon appartement se rétrécit tout d’un coup. Il faut que je sorte. Elle n’a pas eu le temps de quitter la France, c’est vraiment ce que j’espère.Tu sais que j’arpente les gares et les aéroports, on s’est peut-être croisés dans ces lieux de transit. Tu as disparu. Même si tu es encore en ville, tu es devenue invisible, absente. Attends, je voulais te dire quelque chose. Oui, je suis prêt à partir avec toi. Cela change tout n’est-ce pas ? J’ai retrouvé la force de caractère qui, jusqu’à présent, me faisait défaut.
Par hasard -mais qu’est-ce que le hasard ?- je tombe sur la sœur de Simon A. Elle est plus souriante qu’avant, mais elle non plus n’a rien oublié. Je lui fais signe de la tête, et elle continue à marcher comme si de rien n’était. Son silence est légitime. Il y a maintenant deux ans que Simon A. nous a quittés. Je me souviens de notre avant-dernière rencontre. Les propos que je lui avais tenus me semblent plus ridicules que jamais :

 Comment peux-tu être de mauvaise humeur, je n’ose même pas dire déprimé, quand tu vis dans le confort. Regarde ces images d’…, eux ils souffrent, nous c’est de la rigolade. Quel con. Il est parti un jour de semaine avec une arme à feu dans la poche de son blouson, lui qui détestait tant les armes. Personne n’a pu le retenir, personne n’a vraiment essayé. Un mois avant son suicide, il était déjà mort. Disparu. Ses amis s’étaient repliés sur leur petite vie individuelle, leurs petits boulots. Lui, il s’évanouissait dans la nuit, sans que personne ne s’en préoccupe. Vous savez tous qu’il était absent, abandonné, avant même de fuir vers nulle part. Vingt-trois ans de réclusion solitaire, c’est tout ce qui nous reste de lui. Nous ne lui avons été d’aucune utilité. L’amour, il n’en a jamais reçu. Pas suffisamment en tout cas. Il n’a jamais effleuré le corps d’une femme autrement qu’en pensée ou en rêve. La femme qu’il aimait n’a pas eu le courage d’aller à son enterrement. Elle n’a pas su lui donner de l’amitié, à défaut de l’amour.
Son départ a été vite oublié. Vous aviez déjà déserté…
Pour nous aussi, cela a été dur. Tu te rappelles ?
Maintenant que tu es partie, toi aussi, que reste-t-il ? C’est terrible car je t’aime, mais en même temps, c’est moins grave, car tu as la chance d’être toujours vivante.
L’amour rend égoïste parfois, il nous oblige à nous renfermer sur nous-mêmes, sur l’autre (toi), au lieu de nous ouvrir au monde, de nous épanouir.
Allez, dis-moi que tu es cachée dans le café qui donne sur la fenêtre de mon appartement. Tu m’as fait peur… c’est bon, c’est réussi, arrête maintenant… reviens…
Je ne suis pas rentré chez moi. Le quai situé en bas de ton ancienne chambre était presque désert, c’était juste ce qu’il me fallait, pour pouvoir le parcourir de long en large, pour m’asseoir, marcher, reculer, soupirer, fumer.
J’ai longtemps attendu la pluie. L’orage se préparait, et tout semblait indiquer qu’il allait pleuvoir. Je me suis assis sur un banc, prêt à être recouvert par les gouttes du ciel. Mes yeux embrumés n’arrivaient pas à laisser échapper la moindre larme. La pluie n’est pas tombée ce soir. J’ai continué à l’attendre pendant plusieurs heures.
Et malgré le froid, malgré la solitude, je me suis endormi.

Quand nous nous sommes retrouvés, des années plus tard, rien n’avait changé. Le temps avait alourdi nos démarches, en nous rendant plus… plus…
Mais elle avait gardé toute sa vivacité d’esprit, et moi, j’étais toujours empêtré dans une multitude de projets collectifs ou individuels qui n’aboutissaient presque jamais. Pourtant ces projets ont tous été nécessaires, à un moment donné. De plus, ils avaient été menés de manière énergique. D’ailleurs, ils ont été utiles, tous.

 Tu ne t’es pas encore perdu dans tout ce fatras ?

 Non, non. D’ailleurs, installe-toi, près de moi, je te laisse le clavier de mon ordinateur pour finir cette page… (Apparition de nouvelles bribes foncées sur un carré de lumière) Ça te concerne aussi, alors tu peux rajouter quelques mots…

Olivier Arezki

Quelques petites pluies imprécises (nouvelle d’Olivier Arezki)
Le Matricule des Anges n°25 , janvier 1999.