Lorsque le lyrisme est devenu impossible à ceux qui n’en ont pas supporté la mièvrerie des années 70, il restait aux poètes l’exploration d’une modernité vite qualifiée de terroriste. Entre les envolées grotesques qui tentaient encore de donner au poète une place entre le ciel et les hommes et l’équarrissage carnavalesque de la langue, certains se sont trouvés passablement à l’étroit. Mais aujourd’hui se fait jour une poésie plus proche du murmure ou de la conversation que du chant. Poésie du quotidien, humble au point qu’elle pourrait sembler sans enjeu. Force est de constater que des voix, dont on n’ose dire qu’elles s’élèvent dessinent aujourd’hui un véritable territoire. On pourrait évoquer les Jean-Pierre Georges, François de Cornière, Valérie Rouzeau, Emmanuelle Le Cam, Jean-Pascal Dubost ou Daniel Biga. Avec Les Statues n’ont pas de poils, il conviendra de ne pas oublier Pierre Tilman.
Dans ce recueil qui se démarque nettement de son précédent (C’est l’histoire d’un type - L’Évidence) dont le procédé (commencer toutes les phrases par « c’est l’histoire d’un type ») pouvait agacer, Pierre Tilman tente de dire la beauté qui se niche dans la trivialité de l’amour. Les statues du titre sont probablement au corps féminin ce que la poésie poétisante est au langage amoureux. La vignette de couverture est explicite : un personnage tient sa propre verge arrachée dans une main comme pour l’observer de plus près. Pour se dire, l’écrivain emploie les mots les plus courants, sans aucun effet de style, mais avec cette grâce qui fait apparaître dans les silences plus qu’il n’en faut pour émouvoir : « ce matin elle est restée couchée plus longtemps que d’habitude. Puis elle a déjeuné toute seule dans la cuisine. J’ai vu qu’elle pleurait. Je l’ai prise dans mes bras en lui demandant pourquoi. Elle ne m’a pas répondu. » C’est un regard démuni de toutes certitudes que le narrateur de ces lignes pose sur les femmes, comme s’il attendait d’elles, à chaque geste, à chaque mot, une révélation. Le désir et la sexualité, sans cesse évoqués, n’empêchent pas l’ombre d’une nostalgie où pointe un brin de nihilisme fataliste : « au lit ça durait des heures/ on faisait des trucs incroyables/ et puis on ne s’est jamais revus ». Il y a cependant comme une méfiance du poète à l’égard de la parole ; une peur de se laisser entraîner peut-être hors de la sincérité, emporté par l’élan du verbe. D’où cette attention portée aux corps, cette tentative de circonscription de l’amour aux seuls gestes de la sexualité : « nos corps furent les premiers à savoir/ et à dire dans leur langage taciturne/ mais cette évidence là/ -celle du lit déserté/ de la baise rapide et machinale-/ nos bouches là-haut s’activaient à la nier » Le silence est l’horizon vers lequel les vers se tournent. Ne rien dire, ne rien faire, n’être que le contemplateur de celles qu’on aime. Dans ces petits moments de la vie, figés comme sur des Polaroïds, c’est ce qui est hors du cadre qui émeut et l’utilisation des pronoms personnels à la place des noms nous permet de baptiser toutes les silhouettes que l’on croise dans ces pages. Le recueil, dans son unité, finit par dresser le portrait fraternel d’un homme maladroit parce que lucide. L’amour est une affaire de peau, de corps et d’instants bien sûr, mais c’est surtout une affaire de mort. Dès lors, chaque femme qui s’est offerte, a gravé dans la mémoire du poète l’épitaphe de tous les amours possibles. Sans viser à l’immortalité, la poésie réveille en nous de semblables épitaphes.
Les Statues n’ont pas de poils
Pierre Tilman
Unes
91 pages, 90 FF
Poésie Ecrire en venaille
mai 1999 | Le Matricule des Anges n°26
| par
Thierry Guichard
Sans vouloir sublimer le réel, la poésie de Pierre Tilman imprègne la mémoire des actes sexuels dans un mélange d’humour, de tendresse et de nostalgie.
Un livre
Ecrire en venaille
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°26
, mai 1999.