Si Dominique Poncet livre en un « roman furtif » une des plus vivifiantes entreprises littéraires de cette rentrée, loin des voies royales, en un chemin de bien libre écolier, c’est qu’il passe dans la langue qu’il s’est forgée une charge qui n’est pas sans évoquer cette « chaleur épaisse » du vin que l’on boit dans ses récits rugueux. Ici, la plume n’est pas mouillée dans un pseudo-acide de parade mais bien trempée et comme constituée par les violences d’une vie happée par les gouffres de l’inconnu. Nous voilà très loin des univers urbains-techno-rigides de quelques pâles figures, comme clonées, d’automne littéraire. C’est au cœur de riches et percutantes explorations que l’auteur nous emmène : dans les parages du Jura, les relations sauvages et passionnées d’années d’apprentissage.
Qu’il s’agisse d’un roman ou pas importe peu. Pour certains, Dominique Poncet a surtout mauvais genre. Pour nous, il n’est sûrement pas homme d’étiquette. Nous perdons vite pied, avec bonheur, dans cet étrange texte, baroque, composé de trois ensembles d’écrits aux tons divers qui, une fois passée l’éclatante impression d’éclaté, renvoient à de mêmes sources et échappées, profuses. Un roman, pourquoi pas, mais « furtif » surtout, aux deux sens, car écrit comme à la dérobée et ne se livrant pas facilement.
La Vie en pente, premier récit, livre en instantanés directs les temps d’enfance montagnarde de l’auteur, entre la vie dans les arbres, les mœurs et paroles paysannes, la presse d’imprimerie du père, les évasions sauvages et littéraires. Par cette succession d’anecdotes, parfois faussement triviales, de paroles rapportées, de jeux proches des comptines, se dresse la chronique-mosaïque de cette vie libre et rêveuse, « une utopie bien réelle ». Une chronique qui bien que (ou parce que) « nature » ne goûte pas le bucolique-les-prés d’une littérature de terroir faisandée : les violences et le tragique de la nature brute et des personnages sans façons heurtent à tout va.
Le deuxième récit, publié précédemment seul, est un retour, tant introspectif que rétrospectif, sur les lieux et les enjeux de ces moments fondateurs. S’il est celui d’une certaine maturité -notion que rejetterait peut-être l’auteur-, c’est qu’outre sa postériorité, sa pâte est différente. La langue est travaillée plus ample. On y sent le travail du temps et des deuils, jusqu’à certains accès nostalgiques, même si Poncet, proche du déni s’en défend. De bien justes et sincères mises en perspectives de l’acte d’écrire lui-même s’y développent. Ces retours aux origines -les lieux, objets, événements constitutifs ; la famille, la lecture, « l’origine du risque à parler et à écrire » - tissent une toile de profondes interrogations sur les natures des mondes qui nous peuplent et des liens qui les unissent. Poncet marque précisément ses incapacités fabuleuses à les différencier ou les borner. Ainsi, « c’est en lisant dans les livres que j’ai appris que je savais lire dans les choses ».
Ailleurs, vases communicants, comment il confond objets et choses, des plus communs aux plus abstraites -lire les différentes visions quasi-organiques du livre ou de l’écriture. Cela, sans souffler mot du dernier temps du texte qui ne délaisse pas, en des modes différents, cette approche vive et frontale de la vie : une sorte de troisième mi-temps riche en éclats, qui invite encore à partager un peu de l’inconnu rebelle et généreux, aussi tragique que grotesque, des univers décapants de Dominique Poncet -possible et heureuse descendance, à ses heures, de Cravan.
Les Pentes fabuleuses
Dominique Poncet
Éditions Comp’Act
235 pages, 120 FF
Premiers romans Evasions sauvages
octobre 1999 | Le Matricule des Anges n°28
| par
Pierre Hild
Entre Dhôtel et Cassius Clay : Dominique Poncet offre une échappatoire au climat confiné de la rentrée. Nature sauvage et punch littéraire.
Un livre
Evasions sauvages
Par
Pierre Hild
Le Matricule des Anges n°28
, octobre 1999.