À une époque où la biographie s’impose comme un genre à la mode, écho d’une société du spectacle qui joue du voyeurisme télévisuel sans vergogne, les récits de Christian Garcin s’écrivent à contre courant. On se souvient du très émouvant Vidas(Gallimard 1993) où l’auteur déjà, s’attachait à suivre quelques vies, illustres ou non. C’est le même procédé qui est repris ici, autour de seize existences regroupées en quatre parties distinctes. On est, une fois encore, surpris qu’en si peu de mots l’auteur parvienne à nous rendre proches et émouvantes ces vies pourtant souvent éloignées des nôtres. C’est que Christian Garcin s’attache d’abord à des détails dont il importe peu qu’ils soient vrais : leur justesse suffit. Évoquant le romancier japonais Saikaku (« Sur les plages il ramassait des champignons des sables, des rubans vert olive d’algues laminaires, et des épis de tsubana, dont il était friand ») il achève la courte biographie ainsi : « Il allait parfois s’asseoir dans l’herbe humide et grattait alors la terre, mais il n’y trouvait rien. » Voilà, c’est tout : fin d’une vie.
D’Ambroise Brunet, « immense vieillard qui vivait solitaire dans une cabane de bois » et dont les seuls « compagnons étaient le froid piquant qui fait se recroqueviller le sexe, les pâturages ponctués de gentianes, quelques livres, le souvenir d’un enfant mort, la fraîcheur des torrents », le mystère ne sera pas plus défloré. Puisque : « le reste de sa vie ne regarde personne. »
D’où vient alors que l’on soit tant ému à lire ces quelques fragments d’existence ? « Je suis (…) une fourmi qui s’échine à rassembler un amas de brindilles, à les entreposer pour en faire un refuge » avoue l’auteur. Il s’agit bien en effet de cela : un refuge face à l’oubli, un refuge pour ce qui lie les hommes entre eux, à travers les continents et à travers les siècles. On pourrait penser à la gloire qu’un Pierre Michon restitue aux Vies minuscules, mais chez Christian Garcin le chant a été remplacé par le murmure. Et qu’il évoque Guilhem de Cabestanh (qui observe « des pistils éclatants où les insectes s’enivrent. »), le poète Du Mas (qui mêle « son pas à celui des aveugles, des rats et des chiens. »), Emilie Dickinson (« Vous la voyez peut-être : ses cheveux sont plutôt roux ») ou Lazare de Magdala (« Il est atteint d’un mal qui effraie les hommes et intrigue les chiens »), l’écrivain abolit les distances et fait de ses sujets des frères contemporains. Il se pourrait dès lors que chacune de ces biographies accueille en son écriture un peu de celle de l’auteur. Non pas dans les faits, mais plutôt dans les tourments, les obsessions, l’intranquillité. On notera ainsi que revient souvent l’évocation du massacre de la Saint-Barthélémy (Agrippa d’Aubigné) et que souvent aussi les personnages choisis pour compagnons ont les bêtes sauvages, les loups notamment, pour amis (Sœur Agnès). Thèmes religieux pour ne pas dire mystiques qui abouchent l’homme à sa part animale dans une quête éperdue et corporelle de la Vérité.
L’écriture cherche donc sa part de rédemption et si elle ne prétend pas ressusciter les disparus, du moins leur permet-elle de vivre en nous. Il y a là quelque chose d’apaisant : l’idée d’une permanence de l’humanité.
On pourrait ainsi dire que Christian Garcin associe l’humanisme à la Grâce, dans ces récits d’une apparente simplicité. Comme Shakespeare, « sa main trace sur le papier des mots qui vous habitent ».
Vies volées
Christian Garcin
Climats
115 pages, 60 FF
Domaine français Ces vies en nous
octobre 1999 | Le Matricule des Anges n°28
| par
Thierry Guichard
Avec ces fragments arrachés à l’oubli, Christian Garcin esquisse seize vies en quelques détails d’une juste limpidité. Pour de singulières fraternités.
Un livre
Ces vies en nous
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°28
, octobre 1999.