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Domaine étranger Pouchkine et ses duels

octobre 1999 | Le Matricule des Anges n°28 | par Philippe Savary

Brillant tableau de la société pétersbourgeoise, le roman de Grossman évoque le tragique destin du poète, assassiné par ses « ennemis invisibles ».

L’affaire est entendue : Alexandre Pouchkine a péri de la main de Georges d’Anthès. Ce jeune officier français de la garde pétersbourgeoise, idolâtré des femmes et fine gachette, avait eu la frivole idée de s’amouracher de Nathalie, l’adorable épouse du poète. Le duel de janvier 1837 ne serait donc que l’épilogue absurde d’un mari jaloux et fougueux. À moins qu’il ne s’agisse d’une exécution finement orchestrée par une coterie politique, le tsar Nicolas Ier en tête ? Aristocrate éclairé, épris d’une farouche liberté, Pouchkine « composait des hymnes à tous les poignards révolutionnaires d’Occident » (en ce temps-là, les émeutes dans la vieille Europe éclataient comme des pétards) et cela dérangeait le sommeil des salons impériaux. C’est du moins la thèse avancée par Leonid Grossman dans ce passionnant roman de reconstitution et d’interprétation historique. Écrit en 1929, ce livre, dont l’objet est de présenter les circonstances du drame, instruit avec panache le douloureux destin du poète parmi la conscience de son époque. Ici, rien de roboratif : c’est avec l’habilité d’un maître du suspense, avec la verve chatoyante d’un chroniqueur que Grossman nous invite à écouter les battements de cœur d’une société jusqu’à son poul tragique.
L’originalité de son entreprise est d’avoir trouvé un narrateur exceptionnel : le vicomte d’Archiac, jeune attaché d’ambassade nommé en 1836 à Saint-Pétersbourg, absolutiste bon teint, et surtout cousin et témoin de Georges d’Anthès lors du fameux duel. Les Mémoires apocryphes du diplomate -qui couvrent l’année précédant le drame- jettent un regard distancé et pertinent sur le fonctionnement de cette lointaine Russie. De la cour aux salons, en passant par les anti-chambres, on y devise et festoie évidemment beaucoup. La géopolitique occupe les conversations ; les meilleurs esturgeons les plus belles tables, tandis que les bals achèvent la langueur des journées. Mais les fastes cachent une vérité moins glorieuse. Sitôt habitué des arcanes de cette caste oisive, c’est une société « paralysée, enchaînée par une gloutonne servilité » que d’Archiac-Grossman nous donne à voir. L’hypocrisie, la cupidité, le cynisme règnent en maître dans les couloirs dorés. Dirigé par un tsar autocrate, solide maillon de la branche légitimiste européenne, « pesante statue aux prunelles figées », l’Empire révèle son opprimante face cachée : on déclare fou ceux qui dérangent, on bat mortellement à coups de baguette les soldats mutins. La répression militaire d’une absolue cruauté, les parades navales ridicules, le gigantisme des projets architecturaux complètent ce tableau de mœurs, ébauche du stalinisme à venir. Face à ce système oppressant, cette « société haïe (…) qui broyait tout sans pitié » (dont d’Anthès faisait figure de représentant) Pouchkine se retrouve écartelé entre rébellion et résignation. Pourquoi ce chantre de l’émancipation, aussi altier soit-il, prêtait une oreille si attentive aux ragots et aux bassesses d’esprit ? Est-ce la tentation du succès qui explique que le poète côtoyait les mêmes salons que fréquentaient ceux qu’il épinglait dans ses pamplets ? Ce magnifique roman n’en finit pas de poser la question des rapports entre l’artiste et le pouvoir.

Les Mémoires de d’Archiac
Leonid Grossman

Traduit du russe
par Paul Lequesne
L’Esprit des péninsules
448 pages, 155 FF

Pouchkine et ses duels Par Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°28 , octobre 1999.