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Jeunesse Dis-moi pourquoi tu manges

janvier 2000 | Le Matricule des Anges n°29 | par Thierry Guichard

Dans son premier album, Christian Prigent prend à rebrousse-poil la morale du conte. Il invite comiquement à goûter à l’inconnu. Non sans risque.

Keuleuleu le vorace

Illustration(s) de Patricia Legendre
Editions Hesse

Écrit pour sa fille Judith, Keuleuleu le vorace, le premier ouvrage pour la jeunesse de Christian Prigent, poète, romancier et essayiste (cf. Lmda N°28), reprend, jusqu’à un certain point, la forme du conte. Keuleuleu est un loup vorace, chargé d’une famille affamée. Il part en chasse mais doit traverser toute la forêt familière avant de tomber sur le moindre gibier. Son périple le conduit loin, jusqu’à des paysages ignorés. Là, il découvre un animal extraordinaire : un zèbre qu’il s’empresse d’avaler. Si la chair de l’animal est comestible, elle n’est pas inoffensive et Keuleuleu se retrouve le poil rayé noir et blanc. Le méchant loup vorace bien attrapé, on rit. On rira encore lorsque sur le corps de notre animal pousseront les épines du porc-épic ingurgité, lorsque son derrière perdra ses poils pour ressembler à celui du babouin dévoré où lorsque son cou s’allongera comme celui de la défunte girafe. Dans ce drôle de pays, on ne mange pas les animaux impunément.
La situation du loup est inconfortable : tout le monde va se moquer de son nouveau physique. Honte, colère, gamberge. Puis idée de génie : pour retrouver forme de loup… mangeons un loup.
La logique est implacable, l’histoire aussi. Revenu dans sa forêt, Keuleuleu s’attaquera à un autre loup « connu comme le loup blanc. Pour Keuleuleu, c’était presque un ami. » La petite musique du conte s’arrête là sur ce coup de gong. Christian Prigent s’empare de la logique de l’histoire édifiante pour la retourner contre sa propre morale. Finalement, on peut tout manger puisqu’on aura toujours la possibilité de retrouver son apparence naturelle. Et si en fin d’ouvrage, Keuleuleu fait la leçon à ses louveteaux : « Ne quittez jamais les grands bois humides où vous êtes nés ; faites toujours attention à ce que vous mangez » les bambins savent déjà qu’ils transgresseront cette loi.
Ce qui choque de prime abord, c’est la scène de cannibalisme, le fait que Keuleuleu, le héros puisse s’attaquer à un semblable. L’anthropomorphisme de l’histoire permettrait une identification forte avec le loup. Christian Prigent prend donc soin de désamorcer le rapport trop affectif que le lecteur pourrait entretenir avec l’animal en jouant sur les effets comiques du langage qui ridiculisent le loup en même temps qu’ils signalent une distance entre ce qu’il est et ce qu’il représente. Ainsi l’accumulation des adjectifs atténue la cruauté de la faim : « une vraie terrible faim de grand loup gris vorace » et le jeu de mot, « il restait gueule bée » insiste sur le fait que notre héros est bien un loup (l’anthropomorphisme aurait voulu qu’il restât « bouche bée »).
Reste le fait que le loup dévoré est « presque un ami » de Keuleuleu. Pourquoi ce détail accablant ? L’illustration de Patricia Legendre, par ailleurs assez convenue, propose ici une hypothèse. Sur la partie gauche de l’image on voit la tête et le cou de Keuleuleu prêt à se jeter sur la croupe du loup dont on ne voit ni… le cou ni la tête. Comme si Keuleuleu se dévorait lui-même. L’histoire prend donc une autre dimension, plus symbolique. Les pistes de lecture se multiplient : de quoi est-il question ? De s’affranchir des lois qui nous refusent l’accès à l’inconnu, d’évoquer le racisme et le métissage (restez purs !), d’oser sortir de soi ? La forêt est vaste, et les chemins qui la traversent sont multiples. On peut s’y perdre, on peut aussi s’y trouver.

Keuleuleu le vorace
Christian Prigent

Illustrations de Patricia Legendre
Éditions Hesse
28 pages, 79 FF

Dis-moi pourquoi tu manges Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°29 , janvier 2000.