Les lecteurs français découvrirent Nicolas Bokov (né en 1945) voici plus d’un quart de siècle avec la parution, d’abord dans les pages de la Quinzaine Littéraire puis aux éditions Robert Laffont, d’un samizdat devenu fameux : La Tête de Lénine.
Après avoir relaté son expérience de SDF (Dans la rue, à Paris, Noir sur blanc, 1998), l’auteur revient aujourd’hui aux temps héroïques de la dissidence par l’intermédiaire du plus inattendu des récits policiers. La scène inaugurale du présent ouvrage se révèle en effet digne des classiques du genre : un individu appelé « L’Étranger » parvient à semer en gare de Riga trois hommes venus l’arrêter à sa descente du train puis, toujours talonné par les sbires du KGB, se lance dans une quête de son propre passé.
Pour dire le ravissement qui naît à chaque paragraphe de ce livre, il faudrait se figurer quelque longue nouvelle d’espionnage imaginée par Proust et corrigée par Danilo Kis (celui de La Mansarde) ou un Philip Marlowe qui ne collecterait pas les indices mais les instants du passé comme autant de papillons fossilisés sertis « dans la masse jaune rougeâtre d’un bloc d’ambre ». Tour de force que de restituer la lourde atmosphère de clandestinité des années Brejnev (au point que le lecteur se surprend à regarder par-dessus son épaule) tout en baignant le texte d’un halo de pure poésie.
La « béatitude » à jamais révolue de l’enfance, « l’attirante et inquiétante ressemblance » entre un grain de maïs et une dent, la douleur à quitter celle qu’on aime pour s’exiler, une pendule qui se met à sonner si on la considère attentivement, les paroles historiques qu’il convient de prononcer au moment de son arrestation (« Commes vous êtes nombreux ! ») : tout ceci et bien d’autres choses encore se trouvent entre ces pages. Accordez-vous un moment de grâce. Prenez ce Déjeuner au bord de la Baltique.
Déjeuner au bord de la Baltique
Nicolas Bokov
Traduit du russe
par Maya Minoutschine
Noir sur blanc
96 pages, 98 FF
Domaine étranger Ambre et lumière
janvier 2000 | Le Matricule des Anges n°29
| par
Eric Naulleau
Un livre
Ambre et lumière
Par
Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°29
, janvier 2000.