Parvenu à la quatrième branche de son œuvre autobiographique, sans doute le moment est-il venu pour le poète-mathématicien Jacques Roubaud de s’expliquer de manière plus frontale sur sa vie « en poésie ». Pour mémoire, l’auteur a entrepris depuis un certain nombre d’années d’écrire une œuvre de prose selon une orientation qui lui serait apparue en rêve, lui imposant pour sa vie future un roman à écrire (dont le titre devait être Le Grand Incendie de Londres) et l’accomplissement d’un « Projet » qui serait à la fois projet de poésie et de mathématique. De l’échec du projet de roman, une narration (dont Poésie : est le quatrième volume paru), a pris forme, relatant et commentant les événements qui ont précédé ou suivi ce rêve du point de vue strict de ce qu’il dictait au rêveur : « Il me fallait faire de la poésie plutôt que rien, faire de la mathématique plutôt que rien ; qu’il y ait cela dans ma vie plutôt que rien ; mais sans promesses d’aucune sorte, ni d’accomplissement, ni de bonheur »
Pour le lecteur assidu à cette œuvre, outre la promesse d’apprendre moult détails supplémentaires, sur la vie de l’auteur, sur sa vie mathématique et sur sa vie en poésie, il y a d’abord celle qui consiste à aller se perdre dans cette prose sinueuse, jalonnée d’incises et de bifurcations, cette « oda continua » aussi, comme on reprend un chemin de randonnée dont on a presque oublié le tracé mais dont on sait à l’avance le plaisir qu’on pourra y trouver.
La poésie selon l’expérience de Jacques Roubaud n’est pas étrangère à celle de la marche : « Un certain ébranlement rythmique, résultat de l’alternance fatale de l’arsis et de la thesis (…) le flip-flop du lever-tomber du pied droit puis du pied gauche et réciproquement (…), se transmet au cerveau, où il suscite l’éveil des images, des images de mémoire, les images-mémoire qui sont la matière première de la poésie. » « Image-langue », « image-souvenir », « ruminement (rumination + cheminement) » sont les termes utilisés par l’auteur pour tenter la description la plus précise possible de son expérience de la poésie « au commencement ». Et au commencement seulement. Car la poésie selon Jacques Roubaud est tout sauf ce « qui sert aujourd’hui à désigner bien des choses -le roman, la chanson, le Plan, les couchers de soleil, etc. » De même, précise l’auteur au chapitre premier : « il est vain de poursuivre (poétiquement s’entend) le renard des images-souvenirs. Car la poésie n’a pas affaire avec l’intention (sinon à contresens, peut-être). » ou plus loin encore, comme axiome de comportement en poésie, il écrit ceci : « Je n’ai pas d’inspiration mathématique ; je n’ai pas besoin d’inspiration en poésie. » Les prises de positions, les coups de bec dont Jacques Roubaud essayiste à déjà eu l’occasion de dérouler l’argumentaire -dans Poésie etcetera, ménage, par exemple, pour le plus récent de ses essais paru en 1995 aux éditions Stock-, sont nombreux dans cette quatrième branche du Projet. Et au regard de cette trajectoire personnelle dont il s’applique à révéler dans les détails l’exemplaire dessin, -il aura passé une longue, très longue partie de sa vie à étudier, connaître, aimer, copier, apprendre les œuvres des plus grands poètes de ce monde, à inventer des tactiques (ou contraintes) pour tenter d’entrer en poésie, au regard de tout cela, les querelles d’écoles ne sont que broutilles.
Poésie :
Jacques Roubaud
Seuil
538 pages, 160 FF
Poésie Vie = poésie
mars 2000 | Le Matricule des Anges n°30
| par
Marie-Laure Picot
Après Mathématique :, Poésie : ajoute un quatrième volume au "traité de mémoires" de Jacques Roubaud. Suite d’un "présent continu de prose".
Un livre
Vie = poésie
Par
Marie-Laure Picot
Le Matricule des Anges n°30
, mars 2000.