Ne cherchez pas la photographie d’Annie François au dos du livre, ne cherchez pas non plus le code barre, elle n’en veut pas. Éditrice au Seuil, elle a naturellement des idées sur le Livre et sur son livre en particulier d’autant qu’elle a été vouée par un sort malicieux à la consommation ogresque des livres. « Ma vie n’est pas étanche (…), le livre, d’une manière ou d’une autre l’occupe tout entière. » Sans parler de son appartement envahi.
Complètement accro, elle a établi avec Bouquiner une « autobibliographie » fort distrayante en cinquante petits chapitres pétulants où sont décrits les rapports ambivalents qu’elle entretient avec sa bibliothèque. La démarche est délicate, éventuellement salutaire -mais témoignage vaut-il thérapie ? Elle nous vaut en tout cas, bienheureux voyeurs, de poilantes anecdotes et quelques magistrales leçons prononcées avec conviction.
Si Mao n’est pour rien dans l’existence de ce petit livre rouge, Gutenberg fait figure d’accusé : c’est à cause de lui que l’« amante craintive des livres » a développé tant d’habitudes bizarres. Honnêtement, elle les confesse ainsi que ses mésaventures. On rit à gorge déployée parce qu’on s’y retrouve, les chichiteux de la page pliée, les boulimiques, les bibliofilous, les maniaques du marque-page, les emprunteurs qui ne rendent jamais (« un livre prêté est un livre sacré »).
Bouquiner est de ce point de vue un chouette panorama de la lecture depuis la description du fétichisme banal jusqu’à la peur de manquer qui signale les grands malades. « Le lecteur en apnée est imprévisible : un petit baiser dans le cou le fait sauter au plafond. C’est un asocial, solitaire, une sorte d’autiste (…) Tant qu’un lecteur n’a pas reposé son livre de plein gré, c’est un être potentiellement dangereux. » Avec Annie François Bouquiner devient une folie consciente, un grain stimulant, un bonheur.
Bouquiner
Annie François
Le Seuil
205 pages, 89 FF
Domaine français Pathologie d’une lectrice
juillet 2000 | Le Matricule des Anges n°31
| par
Éric Dussert
Un livre
Pathologie d’une lectrice
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°31
, juillet 2000.