Dans la voie qu’il a prise, le dixième ouvrage de fiction de François Salvaing tourne le dos à ses prédécesseurs. Jusqu’alors cet écrivain né à Casablanca en 1943 tissait une narration romanesque (histoire et personnages) à laquelle se mêlait un travail jubilatoire de la langue : histoire de trafic d’organes entre Amérique latine et Sud-Ouest français (Une vie de rechange, Folio), chronique des années Mitterrand sur fond de gestion des ressources humaines (La Boîte, Fayard), etc.
Avec Parti, François Salvaing esquisse une autobiographie critique. Mais pour ce faire, l’écrivain n’a pas choisi le chemin le plus direct. On pourrait gloser longtemps sur la disposition de ce roman : Frédéric Sans, journaliste et écrivain émet le vœu, pour parler du P.C. avec lequel il entretient des relations passionnelles, de dresser, sous forme de fiction, le portrait de Marc Elissalde, ex-membre du secrétariat de « Georges » (Marchais). Mais l’écrivain est victime d’un accident qui stoppe ce projet déjà improbable. C’est donc Elissalde qui dressera le portrait de Sans sous le regard de son ami devenu impotent et muet. Au deuil d’Elissalde (sur ses convictions, sa jeunesse) font écho les révoltes de Sans (notamment à propos de la télévision, entreprise d’analphabètes) où Salvaing excelle dans une férocité qui ravit. Construction symbolique (le patronyme de l’écrivain réduit à végéter évoque la privation), construction en miroir où se mêlent la réalité historique et la fiction.
Il y aurait donc deux sujets dans ce roman : le Parti communiste français de 1968 à 1999 et Frédéric Sans dont les initiales renvoient à l’auteur lui-même. Sans est l’auteur de Inferno ! Inferno ! qui lui valut le prix Inter qu’obtint aussi Salvaing avec Misayre ! Misayre !… Ce masque transparent posé sur l’autobiographie n’est ni une coquetterie, ni un jeu. Il signale la gêne de l’écrivain à évoquer ainsi ses années de combat, ses désillusions. À quoi fait écho la difficulté à convoquer les acteurs, pour bon nombre toujours vivants, qui marquèrent les plus récentes années du P.C. Deux épisodes tragiques, parmi les meilleurs du roman, définissent les deux manières empruntées par l’écrivain pour dévaler ses trente années d’engagement. Il s’agit, sur la pente fictionnelle, de la mort de la mère de Marc Elissalde : sur son lit d’hôpital, mourante, elle se fait lire les dernières nouvelles par son fils et l’interroge sur l’avenir de l’U.R.S.S. Image forte qui sonne comme un rêve. Côté autobiographie, la mort de Mme Sans, plus triviale, révèle le rapport ambigu du fils à sa mère et, partant, de l’écrivain à l’écriture. On aurait aimé que tout le roman soit ainsi, poignant et cruel, ou qu’il soit jubilatoire et enlevé comme ses prédécesseurs. Mais on ressent beaucoup de rétentions, presque un malaise, chez l’auteur. La matière de son livre est encore vivante comme est vivant Frédéric Sans : amorphe, le double de l’écrivain assiste à l’écriture par Elissalde du livre qui est censé raconter sa vie. Et c’est comme si, du passé encore vif, une part de François Salvaing lisait par-dessus son épaule ce qu’aujourd’hui il écrit.
Du coup, le roman devient l’exploration douloureuse du deuil de soi-même et orchestre le divorce ultime qui clôt une lente séparation : celle d’un homme engagé avec une époque oublieuse de l’horizon qu’elle s’était dessiné à la fin des années 60. Cette déchirure, cette impossibilité à dire « je » que signe la schizophrénie de l’écriture, rendent le roman de Salvaing tout simplement fascinant.
Parti
François Salvaing
Stock
543 pages, 149 FF
Domaine français L’auteur et son double
septembre 2000 | Le Matricule des Anges n°32
| par
Thierry Guichard
Entre autofiction et autocritique, François Salvaing dresse un « je » de miroir où se reflète l’époque : de l’élan collectif à l’effondrement individuel.
Un livre
L’auteur et son double
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°32
, septembre 2000.