Robin Cook achève ses mémoires au Puech en juin 1991 par cette édifiante confession : « Le roman noir, ce passage sombre et étroit, représente pour moi le seul but de l’écriture ; c’est ma tentative pour comprendre notre condition, après avoir erré parmi diverses conditions, après être entré et ressorti du paradis et de l’enfer comme un client égaré entre deux pubs situés chacun d’un côté de la rue et qui vendent deux marques de bière différentes. » L’homme au béret légendaire s’est éteint à Londres en 1994 à l’âge de 62 ans. De retour de son exil aveyronnais.
Dans Mémoire vive il tente de faire défiler les jalons de la constitution d’une écriture, d’une œuvre tout entière tournée vers la noirceur d’une existence hors du commun. D’une œuvre qui prend sens essentiellement de son rejet exacerbé de l’aristocratie et de ses origines. La première partie du livre, la moins intéressante, met en scène l’enfance et ce père pathétique, la guerre, les pensionnats. Les références ne manquent pas : John Buchan, Conan Doyle, Poe, Wilkie Collins, Dickens mais aussi Shakespeare et Socrate… La mort de l’oncle John, en 1941, est la première raison concrète évoquée par Cook, justifiant le désir de son écriture. S’ensuit l’expérience du collège d’Eton (« Orwell lui aussi y est allé et en est parti en 1921, avec autant de haine que moi »), le port de l’habit à queue et du chapeau haut de forme, pendant qu’au dehors une guerre gigantesque fait rage.
Dès le deuxième tiers du livre la teneur change et enfle. Il y est plus précisément question de l’écriture et de la tension ultime née d’un engagement total. Cook s’impose pour contrat moral d’écrire sur le Mal et de se poser toutes les questions possibles le concernant mais aussi la manière de le dénoncer la plus juste possible. Il conclut un remarquable passage sur la réussite ou non d’un parcours d’écrivain (p. 98-99) en espérant satisfaire au théorème de Wittgenstein : « La pensée est le langage »… Sans ajouter en ce qui le concerne : la trajectoire de vie est le langage. Nous redécouvrons donc cette trajectoire, du familial au conjoncturel et à la fréquentation de la pègre londonienne pour aboutir à la théorisation si simple et lucide du roman noir : « Le roman noir existe pour obliger les gens à voir ce qu’est réellement le vrai désespoir, les petites pièces sombres, noires et isolées de l’existence dont toutes les issues sont condamnées ».
Un livre -J’étais Dora Suarez- a coïncidé pour Robin Cook avec l’exaspération de cet engagement littéraire : i1 a été Dora Suarez. I1 a plongé dans les ténèbres suscitées par son écriture. I1 a été son personnage de meurtrier (« l’imagination, c’est sentir au bout de vos doigts le sang de quelqu’un d’autre avec des narines qui ne sont plus les vôtres, mais qui ne pourraient appartenir à personne d’autre »). Sans savoir s’il reviendrait à une vie « normale ». I1 a payé le prix comme il le sous-entend si fort. Le prix du passé qui n’est plus et du présent qui ne peut être : « le roman noir est là pour vous rappeler que vous aviez un avenir prometteur derrière vous ». Ce roman noir qui comme la métaphysique s’intéresse « aux questions humaines suprêmes : la position de l’homme vis-à-vis du monde et son degré d’acceptation des conditions que celui-ci lui impose pendant qu’il en fait partie ». Les racines du mal s’entrevoient très profondément chez Robin Cook.
Mémoire vive
Robin Cook
Traduit de l’anglais
par Jean Esch
Rivages - 438 pages, 68 FF
Domaine étranger Broyer le noir
avril 2001 | Le Matricule des Anges n°34
| par
Gerardo Lambertoni
Autoportrait d’un écrivain au parcours à la dérive. Depuis l’enfance jusqu’au plus noir de l’existence, Robin Cook se défend du sourire de l’errance.
Un livre
Broyer le noir
Par
Gerardo Lambertoni
Le Matricule des Anges n°34
, avril 2001.