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Domaine étranger Inaccessible Peake

décembre 2001 | Le Matricule des Anges n°37 | par Benoît Broyart

L’ultime volet de la trilogie autour de la forteresse de Gormenghast est enfin réédité. Un voyage romanesque, monumental et fantasmatique sans commune mesure.

Titus errant constitue la troisième partie d’une vaste trilogie romanesque, un objet littéraire plein à craquer, qui ne ressemble à rien d’autre, élaboré par l’Anglais Mervyn Peake (1911-1968). Les trois volumes étaient parus chez Stock dans les années 1970 dans la même traduction (Titus d’enfer et Gormenghast, les deux autres tomes, ont été réédités chez Phébus en 1998 et en 2000). L’oeuvre avait déjà rassemblé à l’époque de fervents mais trop rares défenseurs, parmi lesquels André Dhôtel, sensible à l’univers merveilleux développé ici. Titus errant et Le pays où l’on arrive jamais sont d’ailleurs deux textes qui, chacun à leur façon, regardent dans la même direction, celle de l’inaccessible.
La forteresse de Gormenghast est un château démesuré, à l’architecture improbable, aux pièces innombrables. Elle constitue un monde, le seul monde disponible. Il serait impossible de se la représenter dans son ensemble. Au coeur du château, Titus, le soixante-dix-septième comte d’enfer, grandit dans un monde clos, écrasé par la force d’un rituel sans âge. De nombreux personnages gravitent autour de l’enfant et contrôlent ses aptitudes à respecter un ordre qui a perdu son sens depuis longtemps. Ce climat et cet environnement font rapidement de Titus un personnage légendaire aux gestes codés, définis, définitifs.
Le monde développé par Mervyn Peake possède d’abord d’étonnantes qualités visuelles. Le cinéaste qui tenterait une adaptation de la trilogie serait très embarrassé, car les nombreux épisodes du roman, s’ils n’ont aucun mal à pénétrer le cerveau par le biais de la suggestion et du fantasme, ne pourraient pas nous parvenir en quelques heures d’images. « Ce gentleman donnait des ordres d’un air particulièrement détaché, indifférent au fait qu’il était nu comme un ver à l’exception d’un casque de pompier. » En une phrase, Peake parvient à brosser n’importe quel personnage. Le plus infime rouage de la machine romanesque est dessiné avec la rapidité du caricaturiste. La silhouette prend racine dans la mémoire du lecteur, irrémédiablement. On n’est pas étonné d’apprendre que l’homme (comme Alfred Kubin), fut dessinateur avant de se tourner vers l’écriture. Ses romans en portent d’ailleurs les traces. Des dessins au trait ornent les pages des trois volumes.
On a souvent cité pêle-mêle, pour trouver une parenté à Peake, Rabelais, Swift, Rimbaud, Powys, Carroll, Tolkien ou même Joyce. Le seul point commun qui pourrait rassembler des écrivains aussi différents est la démesure. Le bonheur de tout lecteur devrait être de pouvoir en lisant, marcher au coeur d’un territoire inconnu et vaste, sans savoir où l’auteur le mène. Dans cette optique, la lecture de la trilogie de l’écrivain anglais est fortement recommandée.
Titus errant est le plus singulier et le plus noir des trois volets. Titus, ayant grandi, décide de quitter le château. Il s’enfuit et tente de renoncer au destin qui le condamnait à l’immobilité. Il rompt avec la forteresse lors de son passage à l’âge adulte et la structure du texte elle-même se transforme. Les chapitres sont plus courts. Le roman, à l’image du héros, perd l’enfance pour s’enfoncer dans des zones plus sombres, proches de la mort. La pulsation du récit s’accélère, comme si Titus ouvrait les portes les unes après les autres, pour trouver comment échapper au rituel de son enfance.
Dans Titus errant, on retrouve la folie qui animait les deux précédents volumes, des scènes qui se succèdent à toute vitesse. Sauf qu’ici, Titus est passé de l’immobilité de la forteresse au mouvement. Il se cherche partout, dans chaque rencontre, derrière chaque porte. « Il était la partie d’un tout qui le dépassait. Un éclat de pierre, mais où était la montagne d’où cet éclat s’était détaché ? Il était la feuille, mais où était l’arbre ? Où était son foyer ? Où était son foyer ? »
Titus d’enfer
et Gormenghast contenaient une importante galerie de personnages ridicules, comme cette ronde de professeurs entourant l’enfant, vieux hommes puants enroulés dans leurs robes crasseuses, le cuisinier Lenflure ou encore Irma, la soeur du docteur Salprune, organisant une grande fête et invitant tous les professeurs, en espérant séduire l’un d’entre eux. Peake veillait à donner une dimension comique au roman. Ici, c’est différent. Il y a la ville, et le Monde sous le fleuve, où sont réfugiés quelques marginaux, comme le poète Pinscrabe qui dort parmi ses livres : « Il reposait avec son passé autour de lui, sous son lit et contre sa nuque, un passé cinq cents fois répété, couvert de poussière et de mites brillantes. Sa tête, comme celle de Jacob sur la fameuse pierre, reposait contre les volumes à bout de souffle. L’échelle qui s’élevait de son misérable grabat atteignait le ciel. Mais il n’y avait pas d’anges. »
C’est curieux comme Mervyn Peake fait fonctionner la machine romanesque à l’envers. Avec Titus errant, on croyait voir se profiler un roman de formation -Titus rencontre deux femmes durant son parcours et tente de faire l’apprentissage de l’amour-, mais très vite, tout se délite et par bien des aspects, la tentative de Titus pour trouver ce qui se passe de l’autre côté des murailles devient un apprentissage de la dégénérescence. Le paysage qui se déroule sous les yeux du héros appartient parfois directement à l’univers de la mort : « Sous une lumière strangulatrice, la grande fleur affreuse ouvrit l’un après l’autre ses pétales bulbeux : une fleur dont les racines tiraient leur nourriture de l’écume grise de la fosse et dont l’odeur immonde éclipsait l’arôme délicat des genévriers. C’était une plante malfaisante, à la floraison satanique ; elle était invisible, mais ses manifestations étaient partout. »
On se demande comment Mervyn Peake a pu achever ce dernier volet et clore un si vaste déchaînement d’images, un tel débordement romanesque. Fantastique, fantasmatique, gothique, les adjectifs manquent pour définir cette oeuvre qu’André Dhôtel considérait comme « un événement littéraire considérable ».

Titus errant
Mervyn Peake
Traduit de l’anglais
par Patrick Reumaux
Phébus
288 pages, 20 (131,20 FF)

Inaccessible Peake Par Benoît Broyart
Le Matricule des Anges n°37 , décembre 2001.
LMDA PDF n°37
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