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Domaine français Le guetteur fabuleux

juin 2002 | Le Matricule des Anges n°39 | par Benoît Broyart

Trois inédits de Henri Thomas paraissent, dont un très beau récit, Le Plein Jour. L’occasion de redéfinir la place que pourrait occuper l’écrivain dans l’espace littéraire contemporain.

L' Ingrat (suivi de) L’Impersonnel

Pour quelles raisons la voix de Henri Thomas se distingue-t-elle des autres ? Pourquoi garde-t-on le timbre si particulier de ses romans des années dans la tête ? On cherchera en vain une réponse courte et efficace à ces questions. On rêverait pourtant d’expliquer en deux mots pourquoi Henri Thomas (1912-1993) est sans doute l’un des plus grands écrivains français du siècle dernier, avec une oeuvre forte de seize romans, neuf recueils de poèmes et d’une belle série de nouvelles et d’articles critiques. Oui, on rêverait que quelques mots suffisent aux potentiels lecteurs et qu’ils se ruent bientôt dans les librairies pour faire connaissance avec l’écrivain. Signalons, si de telles intentions vous travaillaient et que vous aviez la chance de n’avoir pas encore rencontré l’univers clair-obscur de l’auteur, que certains de ses romans sont disponibles dans la collection « L’Imaginaire » de Gallimard.
La voix de Thomas, si elle est subtile, toujours en demi-teinte, véhicule une puissance poétique peu commune. Ce paradoxe constitue sans doute en partie la marque de fabrique de l’auteur. Dans Le Plein Jour, un homme regarde la ville, à un moment, par la fenêtre d’un taxi : « Une rue tourne et passe dans la vitre comme une journée entière, avec sa fatigue. » Les mots de Henri Thomas semblent agir sans jamais forcer le passage. Ils sont les outils d’un observateur qui cherche à définir la nature des sensations, sans détours. Ses textes portent également en eux une forme presque obscène de sincérité et une douleur qui ne semble pas vouloir finir. La particularité d’une telle parole est bien d’être la voix d’un poète perdu entre la rêverie et la confrontation directe avec le monde. C’est comme ça, l’homme chez Henri Thomas s’approche de l’autre comme la vague lèche le rivage puis brusquement, inéluctablement, il repart dans l’isolement. C’est pourquoi les textes de l’écrivain se placent toujours entre douceur et violence.
Dans L’Ingrat, un jeune homme se heurte à un mal très répandu dans l’univers du romancier. Ici, le rapport à l’autre est si problématique qu’il devient, pendant un moment, impossible : « Une matinée passée toute entière à fortifier la même résolution, à la promener sous le ciel qui lui convient, à la retrouver pour ainsi dire au fond de la fatigue, et de la faim, amène sans qu’on s’en doute de grands changements ; celui qui promène ainsi une pensée glisse peu à peu bien loin de ce qui l’entoure ; il abandonne toute une part de lui-même, il tombe dans une sorte d’indifférence ensommeillée à l’égard de tout ce qui n’est pas sa résolution et, comme tous ceux dont les facultés se sont longuement reposées, dès qu’il s’éveille de sa songerie, il est infiniment plus sensible qu’avant à ce qu’il retrouve autour de lui. »
Prix Médicis en 1960 pour John Perkins et prix Femina en 1961 pour Le Promontoire, si l’écrivain a été souvent récompensé de son vivant, il bénéficie aujourd’hui d’un lectorat d’initiés qu’il serait vraiment temps d’élargir. Après un Cahier Henri Thomas paru en 1998, Le Temps qu’il fait a choisi de publier trois textes inédits de l’écrivain, un récit achevé Le Plein Jour, daté de 1969, ainsi que deux débuts de récits, L’Ingrat et L’Impersonnel, dont la datation est moins certaine. Dans tous les cas, ces trois textes sont bien antérieurs au décès de l’auteur. C’est donc que Thomas lui-même n’avait pas jugé bon de les publier. Ce qui oblige forcément le lecteur à se poser, avec Paul Martin le préfacier, la question suivante : quelle est la raison d’être de ces publications ? Dans son introduction, le spécialiste de Henri Thomas élude le problème en posant ces trois textes de l’ombre comme des victimes de la négligence de leur auteur, considéré comme un « rêveur subtil ».
Le résultat, c’est qu’on ressent une frustration inévitable à la lecture du volume contenant L’Ingrat et l’Impersonnel. Inachevés, ces textes s’arrêtent brutalement, comme si on avait arraché une partie d’un ensemble fini, déchiré le livre en deux. Ce qui prouve évidemment l’exigence de l’écrivain face à ses textes. Ces deux commencements sont loin d’être des ébauches en effet mais ils demeurent la moitié finie d’un ensemble qui n’existe pas en réalité. L’Ingrat et L’Impersonnel sont des « matrices », comme les définit très justement Paul Martin dans sa préface. Ils contiennent des thèmes chers à l’auteur -l’enfance, l’errance et la difficulté à être-, et pourraient pour cette raison avoir servi de réservoir à d’autres récits de l’écrivain. Seuls les familiers de l’oeuvre accueilleront une telle publication avec enthousiasme. Malgré leur intérêt indéniable, ces deux récits ne constituent pas des portes d’entrée privilégiées dans l’oeuvre de Henri Thomas.
Il en va autrement pour Le Plein Jour. Composé en 1969, le récit tient une place particulière dans le travail du romancier. En effet, Thomas ne publia aucun roman entre 1970 et 1985, période de son installation en Bretagne. La beauté du Plein Jour est en partie due à la terrible image que donne l’écrivain d’une confrontation entre deux générations. Ici, père et fils s’observent douter du monde et se répondent curieusement sans se parler : « Ce que Lucien attend du jour qui vient, il est certain tout à coup que son père l’a vu depuis longtemps, à force de vivre comme il a fait, d’un ratage à l’autre, et cela veut dire qu’il s’est arraché des engrenages successifs, un peu plus esquinté à chaque fois, pauvre père, comme l’ivrogne qu’on expulse. » Ce récit est un texte poignant, tendu de bout en bout. La langue de Henri Thomas y véhicule une rage rentrée et parvient à peindre la douleur véritable d’un fils qui regarde son père se perdre.

Henri Thomas
Le Plein jour
et L’Ingrat suivi de L’Impersonnel
Le Temps qu’il fait
136 et 138 pages, 14 chacun

Le guetteur fabuleux Par Benoît Broyart
Le Matricule des Anges n°39 , juin 2002.
LMDA PDF n°39
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