Marginales N°1
Avec son format carré et sa couverture en toile écrue, la revue Marginales (du nom de la collection de littérature coéditée avec Agone) publie une première livraison convaincante. Son titre, « Paysans dernier siècle ? », n’a rien de provocateur. Si la moitié des hommes qui habitent notre planète sont des paysans, combien survivront à la mondialisation, à l’industrialisation massive, à l’uniformisation des modes de vie ? Une poignée, prédisent les études. Et c’est pour demain : dans quelques décennies. Chronique dénoncée d’une lente extinction, ce numéro thématique de Marginales donne à entendre ce que la littérature a à dire sur ce peuple issu de la terre pour en capter « la formidable résistance et l’irréductible vitalité ». Rendre compte donc de sa sensualité, de son courage, de ses drames ou de ses colères. Alternant extraits littéraires ou poétiques, textes critiques et témoignages, on y lira une brillante étude sur le romancier et prix Nobel Ladislav Reymont (1867-1925) dont ses épiques Chlopi -le quotidien du paysan polonais à travers le cycle saisonnier- est à ranger parmi les grands « témoignages d’humanité périmée ». On y lira le récit d’un combat, celui de l’impétueux et iconoclaste Jean-Marie Déguignet, miséreux parmi les miséreux -il vivait dans un taudis, sur un matelas de fougères- pour que ses anticléricales Mémoires d’un paysan bas-breton soient enfin publiées -elles le seront un siècle plus tard en 1998 et deviendront un best-seller. Au fil des pages et des époques, le lecteur partagera le regard sensible d’un Michel Maurette, la verdeur et le bon sens du Gascon Marius Noguès, l’auteur de Grand Guignol à la campagne, (écrire « pour réhabiliter la terre et ce qu’elle porte »), le dévouement humaniste d’un Léon Tolstoï à la cause des moujiks, ou encore l’histoire mouvementée d’un carré de pommes de terre posé sur un îlot caillouteux près de la côte norvégienne (Eyvind Johnson). Certains extraits proviennent des meilleurs crus.
Soucieuse de donner racine à cet ensemble, la revue rend aussi hommage à ceux qui luttèrent contre leur asservissement : Thomas Munzer, que Luther comparait à Satan, et qui souleva en 1525 près de 40 000 paysans contre les seigneurs allemands, démolissant leurs châteaux par centaines ; le mouvement makhnoviste en Ukraine (1918-1921) qui se constitua en force militaire et sociale, l’anonyme Louis Langomazino, journaliste à La Voix du peuple qui insuffla en 1849 les idéaux du socialisme paysan dans le sinistré département bas-alpin. Tous ces récits rejoignent l’appel d’Élisée Reclus, lancé en 1872, à la masse déshéritée : « Unissez-vous », lui qui notait déjà que « dans les solitudes du Grand-Ouest américain (…) tel champ de culture a la superficie d’une province. » Il coule une précieuse humanité émancipatrice dans ce volume dédié à ceux d’en bas : « Ils ont de pauvres mots plein la gueule, mais leur cœur est à cent mille milles de là. » (Thomas Munzer)
Marginales N°1
168 pages, 15 €
(Les Billardes 04300 Forcalquier
http://marginales.free.fr)