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Domaine étranger Out of Danemark

septembre 2002 | Le Matricule des Anges n°40 | par Anne Riera

Jusqu’en Sibérie pourrait ressembler à un vieux roman pathético-réaliste scandinave.Mais sous le voile de la mélancolie perce la voix lumineuse de Per Petterson.

Jusqu’en Sibérie

Frederikshavn, un port du Danemark dans les plaines sableuses du Jutland. Les vaches dorment dans l’étable, dehors la lune promène sur le paysage enneigé un œil unique. Sur une carriole, une petite fille grelotte à côté de son grand-père. Bien sûr, elle porte des tresses. L’écrivain Martin Andersen Nexø flotte, ombre tutélaire, au-dessus de ce roman, et l’impression de s’être égaré dans une vieille carte postale est d’abord tenace. Comme si on s’était lancé à l’aveuglette dans une de ces histoires inspirées par un XIXe siècle sordide, comme si entre Pelle le Conquérant et Ditte, fille de l’homme -auxquels ne manque pas de faire allusion l’auteur-, on marchait encore sur les pas d’un réalisme social très prisé des grand-mères. Une impression qui naît peut-être de la neige et des patins à glace, du père taciturne qui peine derrière son établi de menuisier, de la mère bigote qui écrit des cantiques le soir dans la semi-obscurité de la salle à manger, de ces études auxquelles la petite fille doit renoncer faute d’argent…
On est pourtant au cœur des années trente, dans un entre-deux-guerres qui craint encore de s’ouvrir au siècle nouveau. Jouant à saute-mouton par-dessus 1900, ce sont les mêmes hiérarchies sociales, la même misère, les mêmes peurs de Dieu, des filles aux lèvres rouges et des fantômes des marins noyés. Les mêmes rêves d’ailleurs, d’Amérique ou de cette Sibérie que la narratrice ne verra jamais, le même rêve hypnotique et fécond d’un temps des cerises qui ne survînt pas. Un idéalisme incarné par le frère de l’héroïne, personnage solaire et turbulent auquel la lie un amour absolu, véritable cœur palpitant de ce roman. Un frère qui s’enfuit le 4 septembre 1943 quand, pourchassé par la Gestapo, il décide de passer en Suède. Car, oui, le temps passe. La petite fille grandit, les Allemands arrivent, puis repartent. La jeune femme coupe ses tresses et s’en va à son tour. Elle voyage puis elle revient ; elle s’enterre vivante à Frederikshavn. Aujourd’hui, elle se souvient.
Jusqu’en Sibérie n’est pas seulement le polaroïd réaliste à la mode dix-neuviémiste d’une société frileuse et d’une époque violentée par l’Histoire. Freud et l’impressionnisme sont passés par là. Le Norvégien Per Petterson, dont c’est ici le premier roman traduit en français mais déjà le troisième ouvrage salué par la critique en Scandinavie, ne se contente pas de décrire un milieu social, il dresse le portrait d’une femme danoise, affranchie, trop libre pour son époque, isolée, qui rembobine le fil ténu de son existence. Récollection de souvenirs dont l’enchevêtrement dessine autant de petites tâches d’ombres et de lumière. La distribution du lait à bicyclette, l’odeur des copeaux de bois, la première valse volée, une nuit de couvre-feu, dans les bras de son frère. Des scènes simples, d’une évidence presque archétypale, universelles. Nostalgie facile, mélancolie exacerbée ? Oui. Et non. Le vrai secret de ce roman se dissimule dans les silences du texte. Non-dits, drames discrets, pulsions réprimées ne se laissent deviner que par la grâce d’une phrase ébarbée, polie comme un meuble de menuisier et qui explose parfois en de somptueuses métaphores, poétiques, sensibles, succession de photogrammes au développement tardif et lent qui laissent entrevoir, à claire-voie, l’univers intérieur d’une jeune femme en souffrance, comme posée sur le quai d’une gare et qui regarde la vie s’enfuir, renonçant à sauter sur le marchepied.

Jusqu’en Sibérie
Per Petterson
Traduit du norvégien
par Terje Sinding
Circé
239 pages, 18,80

Out of Danemark Par Anne Riera
Le Matricule des Anges n°40 , septembre 2002.
LMDA PDF n°40
4,00