Le Panthéon étant occupé et l’Académie décrépite, les membres de la Société Perpendiculaire -éditrice de feue la Revue Perpendiculaire- ont fourbi leur propre mausolée en ne lésinant pas sur les moyens : c’est un éloquent Rapport d’activité 1985-2000 illustré que nous servent Christophe Duchatelet, Nicolas Bourriaud, Jean-Yves Jouannais et consorts d’où il ressort qu’ils ne manquent pas de vanité. Évidemment, ces critiques d’art, écrivains et philosophes pourront prétendre avoir fait preuve d’autodérision ou d’un second degré en se consacrant à l’étude snobinarde du kitsch pavillonnaire ou en procédant à des manifestations -pardon : des happenings aussi spirituels que « Gratte-moi le cul », une « farce agricole » potache qui laisse pantois. Rappelons simplement que dans son Armand Silvestre, poète modique, J.-Y. Jouannais envisageait la gauloiserie avec beaucoup plus de sévérité. Qu’a donc réalisé la Société Perpendiculaire durant trois lustres ? Depuis sa fondation en 1983, elle a posé souvent en photo avec l’air arrogant qu’on affiche à 18 ans puis elle s’est prise pour le Grand Jeu en négligeant sa profondeur et pour le Collège de ’pataphysique dont elle a surtout retenu l’organigramme (surtout pas la subversion). On se demande bien pourquoi elle n’a pas aussi emprunté au surréalisme et aux situationnistes, voire aux lettristes dont elle a eu l’audience épatée, l’éloquence mercatique et les velléités déçues (si l’on en juge par la réception de ses essais de théorie artistique controuvée ou de ses fictions publiés par les maisons Flammarion, Verticales et Hazan). Il apparaît au fond que ces « faiseurs de choses » ont surtout cultivé leur pose et dépensé un rare talent dans la production narcissique d’archives. À part ça, les Perpendiculaires ont lu Abraham Moles (1920-1992), organisent des expositions, dirigent ceci et cela, sont parvenus à manipuler quelques nigauds qui assoient leur influence -on se demande ce que vient faire ici l’honorable Pierre Autin-Grenier ?-, ont investi quelques s
C’est la leçon : la gesticulation paye. Restent quelques numéros d’une revue pas plus révolutionnaire que d’autres et certaine polémique avec Michel Houellebecq dont ils furent les dindons à défaut d’en être les Maurice (personnage ridicule et aérien des polyphoniques Chants de Maurice, partie la plus réussie de leur répertoire). Concluons : les Perpendiculaires sont surtout révélateurs de ce que notre époque a peur du silence. Elle s’entiche de tout instrumentaliste un tant soit peu bruyant. À leur place, on se demanderait s’il est très sain d’adhérer à ce point à son époque. Ils pourraient finir par en incarner la vacuité et le ridicule essentiels. Et puis on n’attrape pas la postérité avec du kitsch, des mots creux et des airs de penseurs. On l’attrape avec des œuvres et là, ils sont encore loin du compte.
Rapport d’activité 1985-2000
par la Société Perpendiculaire
Éd. Images modernes
288 pages, 35 €
Essais Modique mausolée
septembre 2002 | Le Matricule des Anges n°40
| par
Éric Dussert
Un livre
Modique mausolée
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°40
, septembre 2002.