Yordan Raditchkov, né le 24 octobre 1929 dans le village de Kalimanitsa en Bulgarie, est présenté comme un « classique vivant de la littérature bulgare ». Diantre, un classique vivant, ça ne court pas les rues ! Dans une postface au recueil français, ce journaliste, romancier et dramaturge déclare en plaisantant ignorer les règles du théâtre et procéder systématiquement à leur infraction. Un « classique vivant » qui ne se prend pas trop au sérieux, voilà deux bonnes raisons de le découvrir. Et de fait, le théâtre de Raditchkov se révèle être populaire, drôle, simple, profond et revigorant.
Janvier et Lazarista ont ceci de commun que les deux pièces semblent puiser leur source dans un conte populaire. La fable est simple. Janvier est présenté comme un poème d’hiver, la simplicité, il est vrai, touche parfois à la poésie.
Comme son titre l’indique, la pièce se déroule en… janvier, le plus bulgare de tous les mois selon Raditchkov, le moment où les villageois « s’appliquent, qui par le geste qui par l’imagination, à décrypter les événements gravés dans les congères blanches de l’hiver ». L’action se situe dans une auberge. L’eau de vie réchauffe aussi bien les hommes, les piverts que les « tenets », les esprits des revenants. Quand le traîneau de Peter Molotov revient vide avec, à l’intérieur, un loup tué par une balle, les villageois vont partir l’un après l’autre, à la recherche de leur ami, intrigués par le mystère de sa disparition. À chaque fois, le traîneau reviendra vide avec un loup mort à l’intérieur…
Dans Lazarista, un homme, Lazare, décide de tuer son chien, Charo, qu’il soupçonne enragé. Comme le chien est apparemment très costaud, Lazare prend toute une série de précautions, il l’attache à un poirier, monte sur l’arbre et vise l’animal avec une carabine à une seule balle. Mais au lieu de le tuer, Lazare brise la chaîne et libère l’animal rendu encore plus agressif. Lazare va donc rester prisonnier de l’arbre. La pièce s’égrène sur quatre saisons, séparée chacune de dix ans, les quatre saisons de la vie de Lazare.
Un traîneau avec des loups, un poirier avec un chien, suffisent à Raditchkov pour énoncer tout le mystère de la vie. Son théâtre questionne le rapport à la mort, à la destinée. Pour cela, l’écrivain mêle le quotidien et son lot de bon sens, avec le fantastique des légendes populaires ou païennes en y ajoutant quelques éléments bibliques. Ceci crée une alchimie curieuse avec beaucoup d’humour et des pièces de théâtre aux allures de paraboles sur la vie.
Le nom même des personnages évoque ce curieux mélange. Dans Janvier, un homme qui ne se sépare pas de son pivert est appelé tantôt Jésus, tantôt Susso. Un autre, Esaïe, a comme surnom Mots-Croisés, il décrypte le monde avec des grilles de mots croisés, en découvrant les nouveaux mots domestiqués par les hommes de la ville.
Raditchkov possède de plus une très belle façon de saisir les choses les plus simples, la transformation d’un arbre suivant les saisons, une conversation avec un merle, les taches de givre sur une vitre, la neige qui tombe. Une simplicité qui aujourd’hui fait si souvent défaut. Quand on la rencontre, au détour d’une œuvre ou d’une vie, c’est un peu comme de respirer l’air du grand large ou de la haute montagne. C’est vivifiant.
Yordan Raditchkov
Janvier
Traduit du bulgare par Tsena Mileva
et Roumiana Stantcheva
Lazarista
Traduit du bulgare par Roumiana
Demange et Marie Vrinat-Nikolov
Éd. Théâtrales/Maison Antoine Vitez
124 pages, 16,50 €
Théâtre Vu d’un poirier
septembre 2002 | Le Matricule des Anges n°40
| par
Laurence Cazaux
De l’immense auteur bulgare Y. Raditchkov, on connaît ses récits et ses romans. On découvre le dramaturge. Un théâtre de la simplicité, drôle et sensible.
Vu d’un poirier
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°40
, septembre 2002.