Suite attendue de La Douceur, le nouveau roman de Christophe Honoré est une scène sauvage qui a rejeté hors d’elle les pratiques raisonnables de l’écriture. Lire ce livre n’est pas une partie de plaisirs mais une expérience. À condition de bien vouloir s’y soumettre. On résiste longtemps à entrer dans cette histoire où les sentiments exacerbés exigent un comportement sans faille des personnages mais aussi, exigent du lecteur qu’il en prenne toute la mesure. Steven, l’enfant barbare de La Douceur (complice de meurtre sur un autre enfant, violeur nécrophage et profanateur) vit aujourd’hui avec son frère Baptiste à Scarborough, ville portuaire de l’Angleterre. L’immeuble où ils habitent, avec sa cour et son vis-à-vis, dresse une vraie scène de théâtre. Les deux frères s’aiment d’un amour consolidé par un serment qui fait loi : interdiction d’évoquer le passé -seul le présent existe- et interdiction de se mentir. Un amour peu ordinaire : incestueux, homosexuel, charnel, il vise à retrouver l’idylle impossible.
Le roman s’ouvre avec une double tentative de suicide d’une jeune fille « laide » qui se jette d’une fenêtre de l’immeuble. Sauvée par Baptiste et Steven qui parviennent à amortir sa chute, Kim récidive aussitôt. Avec succès. Cette répétition dans le scénario va donner la mesure de l’écriture de ce roman hors normes, troublant jusqu’à l’excès, douloureux et violent. Des phrases reviennent de page en page, comme une vrille, comme un thème de symphonie, rythmant, non plus une histoire, mais une descente au tréfonds de la conscience, des pulsions, à la recherche d’un amour si pur qu’il en devient mystique.
La quatrième de couverture, écrite par l’auteur lui-même, nous éclaire sur son projet : « Scarborough, lieu de mon imaginaire où l’émotion règne sur la raison, lieu sensuel qui me renseigne violemment sur mes désirs. J’avance les yeux bandés, à reculons, avec l’écriture comme seul sens en éveil. »
C’est une avancée dans l’obscurité qu’on fait derrière l’auteur : l’histoire se déroule par tableaux, échappe au réalisme, abat les tabous. Au couple de frères s’ajoute Sukie, la mère de Kim, qui va s’écorcher la vie en couchant avec les clodos de la basse ville. Le trio va se recomposer, Baptiste expulsé de la fiction laissant place à Anton, enfant unique de Steven et Sukie. Puis, Sukie à son tour disparaîtra, ne laissant plus que le couple insensé, le père et le fils, liés entre eux par une sacralité sans limites. La sexualité est un rite glorieux, scandaleux pour le reste de la société qui réglera ses comptes. On avance abasourdis, bousculés par une voix narrative sèche parfois, lyrique à d’autres moments. On entend Shakespeare dans la scène de profanation où Anton ramène en vain son père du royaume des morts. On avance. C’est noir. C’est violent. Insoutenable : « Les Français ne savent jamais être assez morts, de bien vivants idiots, il faudrait tout leur expliquer, jusqu’à l’absolu que je leur propose. »
JbrJ...
Dossier
Christophe Honoré
Au-delà de la douceur
septembre 2002 | Le Matricule des Anges n°40
| par
Thierry Guichard
Un auteur
Un livre