Certains créateurs s’expriment principalement en élaborant des revues. C’est le cas de Noël Arnaud, de Jimmy Gladiator ou de Jacques Morin, c’est aussi celui du poète Claude Royet-Journoud, revuiste multi-récidiviste depuis 1963. Engagé dans l’exploration de la forme « revue », il a exploité nombre des possibilités offertes par ce média singulier. De tous formats, de toutes périodicités et de natures différentes, il y eut d’abord Siècle à mains puis Llanfairpwllgwyngyllgogerychwyrdrobwllllantysiliogogogoch (sic, ou à peu près), l’hebdomadaire A, L’In-plano puis Zuk, mensuelle publiée par les éditions Spectres Familiers.
L’In-plano qui se lit désormais en fac-similé intégral est sans conteste le plus singulier de ces périodiques. Il souligne la personnalité ludique et passionnée de son créateur discret au point de ne jamais y porter son nom. L’entreprise est lancée le 15 janvier 1986. Ce jour-là, Royet-Journoud poste la première livraison des 80 In-Plano qui suivront à un rythme quotidien. Chaque jour les abonnés reçoivent une feuille A4 recto-verso, machine à écrire et Letraset, petits collages. L’esthétique est pauvre, les moyens choisis sont les plus humbles. La salve ne cessera que le mercredi 6 mai suivant. Avec L’In-plano, Royet-Journoud concevait une revue aussi autonome que possible, quoique de périodicité contraignante. « À mes yeux, a-t-il écrit, la revue de poésie doit recéler en elle une sorte d’incandescence, vivre au bord de l’implosion, ce qui est le contraire de la revue-recueil, certes utile, mais où s’exprime trop l’esprit de prudence. » On s’étonne d’autant plus du regret de l’éditeur-préfacier Jean-Marie Gleize qui se plaint de ne pas retrouver les feuillets sous leur forme originale. Rien n’empêchait de présenter L’In-Plano tel que paru, sous chemise, au lieu de l’engoncer dans un volume broché. Il aurait conservé son aspect « fragile, instable, volatil ». À moins que l’objectif de la réédition ait été de graver dans le marbre l’influence posthume de la publication. Et c’est bien ce qui transparaît de la préface militante de Gleize, lequel use d’un bien grand mot lorsqu’il parle d’organe « mythique ». Mythique peut-être, mais pour qui ? -combien d’happy few ? Ça, il oublie de nous le dire.
Du reste, on ne s’inquiètera pas de son sort puisqu’on retrouve aux sommaires de L’In-Plano les noms d’Emmanuel Hocquard, Jacques Roubaud, Roger Lewinter, Roger Laporte, Marcel Cohen, André du Bouchet, Joseph Guglielmi, etc. D’où l’on conçoit en outre que la revue était dédiée à la « poésie blanche, poésie minimale, modernité négative », selon la formule que l’on souhaitera entendre. Comme l’écrit E. Hocquard, L’In-Plano est caractéristique d’une époque, celle de la « modernité apophatique de l’après-guerre, celle de la suspicion, du doute, des interrogations sur tout et sur elle-même ». Son inscription volontaire hors des lieux de pouvoir, c’est-à-dire dans les limbes de la marginalité, justifie en tout cas la remise en valeur de cette publication « sauvage ». Aux côtés de concurrentes plus célèbres, elle peut désormais prendre sa place dans l’histoire littéraire, comme le firent les nombreuses revues anciennes « fac-similées » par la maison Jean-Michel Place, ou encore le récent dossier Dominique de Roux et L’Herne d’avant les cahiers (1956-1957) qui contient l’histoire détaillée d’une revue capitale, ainsi que des documents inédits (Au Signe de la Licorne, 206 pages 20 €). Chefs-d’œuvre collectifs en péril, les revues sont des mines qui méritent toutes ces attentions.
L’In-plano
Claude Royet-Journoud
Préface de Jean-Marie Gleize
Al Dante
195 pages, 24 €
Poésie Instable et volatile
septembre 2002 | Le Matricule des Anges n°40
| par
Éric Dussert
Al Dante réunit en volume les 80 "numéros" de la revue L’In-plano publiée en 1986 par le poète Claude Royet-Journoud. vUne publication sauvage dédiée à la "modernité négative".
Un livre
Instable et volatile
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°40
, septembre 2002.