Iremonger fait partie de la diaspora irlandaise aisée. Il écume les bars de nuit branchés de Los Angeles à Paris et il est cité dans les pages people de la presse dublinoise. Mais en bon irlandais, il ne peut déroger au rituel du Noël en famille : il cède de mauvais gré aux coutumes de la messe, de la baignade dans une mer glacée et compense en retrouvant les membres du gang des pinteurs, tous anciens étudiants de la prestigieuse université Trinity. Commence alors une anti-odyssée à travers les pubs et le tout Dublin. On y retrouve les lieux mythiques traversés par Bloom dans Ulysse, revus par un Iremonger arrogant et blasé, emmitouflé dans ses luxueux vêtements de marque. Avec ce premier roman, Robert Cremins prend à revers une littérature irlandaise qui puise traditionnellement ses thèmes dans la souffrance de son passé ou dans la misère sociale et le poids de la religion. Comme ses jeunes contemporains, Thomas McCunn ou Robert McLiam Wilson, il use d’un humour impertinent et transforme les mêmes faits en une épopée du quotidien. Cremins révèle sur un rythme endiablé les fastes et faveurs, quasi centenaires tels que le five o’clock à l’hôtel Shelbourne, de cette classe favorisée dont sont issus Yeats et Beckett. Cette véritable caste se targue rarement de ses privilèges car ils ont souvent été acquis grâce à la soumission de leurs ancêtres à la couronne britannique et en échange de leur conversion au protestantisme. De cette culpabilité et de celle due au poids des traditions catholiques, Iremonger se débarrasse en devenant le porte-parole de cette nouvelle génération qui « a déclaré l’indépendance, qui libère des siècles de foutre et de spleen. » Et conclut : « Je jouis pour mes pairs. »
Mais si ce texte s’inscrit dans la lignée des romans drôles, acides et plein de verve de Flann O’Brien, c’est aussi parce que Dublin redevient ici une capitale d’errants. Car sous l’insolence de Cremins pointe ce sens de l’exil dont le nouvelliste Bernard MacLaverty disait qu’il était l’Irish touch de la littérature.
Retour honni
Robert Cremins
Traduit de l’anglais par Renée Kérisit
Marval
271 pages, 19,90 €
Domaine étranger L’exil à Dublin
septembre 2002 | Le Matricule des Anges n°40
| par
Caroline Jane Williams
Un livre
L’exil à Dublin
Par
Caroline Jane Williams
Le Matricule des Anges n°40
, septembre 2002.