Plutôt que d’écrire un livre en reflet de la Délie de Maurice Scève, Pierre Peuchmaurd a choisi d’écrire en échos de celui-ci. Si le recueil Bûcher de Scève salue le poète, en emprunte le vocable, c’est pour mieux faire renaître l’Objet de haute vertu qu’est le personnage féminin de la Délie. Cet ouvrage finement ciselé de quarante-neuf poèmes décline l’approche, la célébration, l’émouvante et parfois décevante perception de l’Être aimé, femme insaisissable qui ressemble à s’y méprendre à la langue qui tente de la séduire. Ainsi Pierre Peuchmaurd tisse un réseau de correspondances placé sous le signe de l’Amour qui doit tout à la subtilité : « Bête blonde crénelée, crêpée,/ Croupée de haut, tendue de vent,/ Bête à surgir du noir futur,/ La robe en sang, le mufle libre,/ Ta morne idée nous tient au bord/ Latent du fleuve./ Ni le silence où tu mugis/ Ni l’or de l’ombre qui s’enflamme/ Ne montent en nous la moindre peine,/ Le moindre effroi à te revoir. » Aimer, c’est défier, faire avouer à l’autre le non-amour qu’on lui porte, l’amener à soi pour mieux le repousser. Ces dizains, qui gardent pour la plupart le rythme du décasyllabe, permettent par leur tenue de déployer une musique obsédante où l’amoureux ne nomme jamais sa proie mais espère bien la confondre. Dans des teintes lumineuses où la flamme côtoie l’eau qui peut l’ensevelir, le poète dessine un admirable visage de femme. Pierre Peuchmaurd annonce en quelques phrases son lien à Maurice Scève : « Les horreurs, les honneurs, les hauteurs de l’amour tentent de se dire ici. Délier Scève : je crois qu’on comprend ce que j’ai voulu faire. Mais pourquoi ? »
La concision des poèmes de Maurice Scève, leur nature énigmatique, leur alchimie, seraient une réponse pour expliquer cette impulsion. Plutôt que d’offrir une pâle réponse à l’original, Pierre Peuchmaurd accomplit un palimpseste de l’œuvre, substituant à la figure première ses propres obsessions, en une tension formelle semblable à la douceur du fourreau dans lequel peut pénétrer la lame.
BÛcher de Scève
Pierre Peuchmaurd
L’Escampette
62 pages, 9,90 €
Poésie À flammes égales
septembre 2002 | Le Matricule des Anges n°40
| par
Marc Blanchet
Un livre
À flammes égales
Par
Marc Blanchet
Le Matricule des Anges n°40
, septembre 2002.