Présenté comme un premier roman de la rentrée littéraire, Selva ! a quelque chose du vilain petit canard au milieu d’une portée très ordinaire. La différence fondamentale entre Selva ! et un roman contemporain tient dans sa dynamique d’écriture. Entre la première page du livre et la dernière, nulle baisse de régime. On est propulsé illico presto à Kourou, dans la Légion étrangère. De Kourou, il sera d’ailleurs peu question car tout se joue autour d’une table. Les personnages sont des lieutenants, un président les interroge sur leurs campagnes, et un popotier, animateur de la soirée, se charge de leur distribuer des verres d’alcool. L’ambiance est tonitruante dans ce repas protocolaire, ponctuée de chants de troupe, de témoignages de légionnaires avinés et de lettres d’un certain Rod, ou Loyal, (Léal en espagnol) à ses proches qui viennent en contrepoint donner un autre ton au récit, celui de la distance critique.
Il va sans dire que Selva !, à la fois témoignage et fiction, se distingue par son sujet. Mais la réussite de ce roman à tiroirs est due essentiellement à sa structure et à sa forme. Le texte se présente décousu et étalé par fragments sur l’ensemble de la page. Les dialogues fusent et les nombreux récits de campagnes sont ponctués en gros caractères de l’injonction « Vos gueules là-dedans ! » Véritable et réjouissant feu d’artifices. « La phrase », commente l’auteur « est l’animatrice en chef du récit, c’est elle qui donne le ton ».
Brève rencontre avec Frédéric Léal dont l’exigeant projet d’écrivain est de « rompre avec le style journalistique consensuel qui règne aujourd’hui dans la littérature française ».
Si Selva ! est un roman, ce roman se présente sous la forme d’une succession d’énoncés sans liens sémantiques directs. Le texte impose une reconstitution mentale à la lecture. Sans compter la profusion de personnages. C’est un beau bordel…
Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un bordel. Un fil narratif cadre le tout. Et malgré les apparences, c’est quasiment de la prose. Un narrateur s’y exprime à la première personne. Simplement, le présent du livre est détourné par les voix des autres. Le récit est en permanence dévié et repris. Je cherche à être efficace, à exprimer un état d’esprit, ce que ressent quelqu’un à un moment donné. J’ai essayé d’écrire ce livre d’une manière linéaire. J’entends linéaire comme a pu le faire Faulkner, par exemple. Mais j’ai été vite bloqué techniquement. On trouve un vrai moment en prose dans le livre, c’est le dialogue alcoolisé entre deux personnages. C’est à la rigueur le moment le plus cacophonique du roman.
Cette ambiance que vous avez cherché à restituer est celle d’un repas protocolaire dans la Légion étrangère. Les rituels que vous y décrivez sont inventés ?
Pas du tout, ce sont des rites de cohésion dans des corps d’armées extrêmes très respectés. J’ai fait mon service militaire dans la Légion et je me suis inspiré de cette expérience. Cependant,...
Entretiens L’esprit de corps
novembre 2002 | Le Matricule des Anges n°41
| par
Marie-Laure Picot
S’inspirant de rites protocolaires de la Légion étrangère, Frédéric Léal signe un texte à tiroirs tumultueux et drôle. Où la phrase, fragmentée, détournée, "est l’animatrice en chef du récit".
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