Il avance lentement un pied devant l’autre. Il est posé sur un fil. Il porte un justaucorps argenté et un nom italien exotique. Dans l’ombre des projecteurs, le narrateur, 13 ans, veille sur son périple. Le funambule incarne la part volée à ses rêves. Rêves d’ailleurs et de ce quelque chose encore indéfini qui prend parfois la forme des fesses de Mme Blüthgen. Comme l’artiste, il avance lui aussi sur un fil invisible, un fil tendu à travers les années 50, tendu entre enfance et adolescence, entre Est et Ouest. Fils d’un pasteur anticommuniste, ostracisé, il sait déjà qu’il lui faudra quitter sa petite ville étriquée de RDA et passer de l’autre côté du mur pour pouvoir poursuivre ses études.
Christophe Hein explore avec lui cet entre-deux, dispersant sur son chemin ces miettes de l’autobiographie qui lui permettent, comme le Petit Poucet, de retrouver son chemin dans l’histoire de l’Allemagne et la sienne propre. Dès le tout début est composé d’une suite de petits tableaux réalistes. La tante Magdalena et sa précieuse boîte à musique, une baignade clandestine dans le lac des Russes, un amphithéâtre où un petit homme replet présente les vertus de l’air liquide, les premiers émois sexuels, les cours d’éducation politique quand les chars russes entrent dans Budapest, le grand-père renvoyé pour avoir refusé de prendre la carte du parti… Christoph Hein a composé un roman d’apprentissage sous lequel perce le portrait sans cesse recommencé de son Allemagne. Cette fois, pourtant, le propos extra-lucide de son œuvre semble desservi par une tendresse presque inhabituelle sous sa plume. On a bêtement l’impression de feuilleter un album de famille, même si parfois s’y glissent quelques instantanés dignes de Doisneau, où le sépia se marbrerait incidemment de rouge et de kaki.
Dès le tout début
Christoph Hein
Traduit de l’allemand par Nicole Barry
Métailié
204 pages, 19 €
Domaine étranger À l’est de l’enfance
novembre 2002 | Le Matricule des Anges n°41
| par
Anne Riera
Un livre
À l’est de l’enfance
Par
Anne Riera
Le Matricule des Anges n°41
, novembre 2002.